ent de prendre le
petit Chose, suivez-le jusqu'a Sarlande, a travers cette grande plaine
blanche; suivez-le dans les rues sombres et boueuses de la ville;
suivez-le sous le porche du college; suivez-le dans la _salle_ pendant
la recreation, et remarquez avec quelle singuliere persistance il
regarde le gros anneau de fer qui se balance au milieu; la recreation
finie, suivez-le encore jusqu'a l'etude, montez avec lui dans sa chaire,
et lisez par-dessus son epaule cette lettre douloureuse qu'il est en
train d'ecrire au milieu du vacarme et des enfants ameutes:
"_Monsieur Jacques Eyssette,_
_rue Bonaparte, a Paris._
"Pardonne-moi, mon bien-aime Jacques, la douleur que je viens te causer.
Toi qui ne pleurais plus, je vais te faire pleurer encore une fois; ce
sera la derniere par exemple.... Quand tu recevras cette lettre, ton
pauvre Daniel sera mort...."
Ici, le vacarme de l'etude redouble; le petit Chose s'interrompt et
distribue quelques punitions de droite et de gauche, mais gravement,
sans colere. Puis il continue:
"Vois-tu! Jacques, j'etais trop malheureux. Je ne pouvais pas faire
autrement que de me tuer. Mon avenir est perdu: on m'a chasse du
college:--c'est pour une histoire de femme, des choses trop longues a te
raconter; puis, j'ai fait des dettes, je ne sais plus travailler, j'ai
honte, je m'ennuie, j'ai le degout, la vie me fait peur.... J'aime mieux
m'en aller...."
Le petit Chose est oblige de s'interrompre encore: "Cinq cents vers a
l'eleve Soubeyrol! Fouque et Loupi en retenue dimanche!" Ceci fait, il
acheve sa lettre:
"Adieu, Jacques! J'en aurais encore long a te dire, mais je sens que je
vais pleurer, et les eleves me regardent. Dis a maman que j'ai glisse
du haut d'un rocher, en promenade, ou bien que je me suis noye, en
patinant. Enfin, invente une histoire, mais que la pauvre femme ignore
toujours la verite!... Embrasse-la bien pour moi, cette chere mere;
embrasse aussi notre pere, et tache de leur reconstruire vite un beau
foyer.... Adieu! je t'aime. Souviens-toi de Daniel."
Cette lettre terminee, le petit Chose en commence tout de suite une
autre ainsi concue:
"Monsieur l'abbe, je vous prie de faire parvenir a mon frere Jacques
la lettre que je laisse pour lui. En meme temps, vous couperez de mes
cheveux, et vous en ferez un petit paquet pour ma mere.
"Je vous demande pardon du mal que je vous donne. Je me suis tue parce
que j'etais trop malheureux ici. Vous seul, monsieur l'abb
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