rosse et les
souliers qu'il nettoyait, prit sa casquette, traversa rapidement la cour,
sur les pas de sa maitresse, et ouvrit avec precaution la porte de la rue.
--Monsieur le marquis ne se doutera de rien? dit-il a la jeune fille,
lorsqu'ils se trouverent dehors.
--Il fait sa correspondance. Nous avons deux bonnes heures de liberte!
repondit Marguerite.
Puis elle passa son bras sous celui du vieillard, qu'elle entraina vers
le centre de la ville.
Il etait temps. Le cortege s'etait mis en marche et gravissait lentement la
principale rue de la ville. C'etaient d'abord les bataillons de la garde
nationale. Rien de plus pittoresque et de plus martial que l'aspect de ces
soldats bourgeois. Artisans pour la plupart, ils n'avaient eu ni le temps
ni le moyen de s'enfermer dans un riche uniforme. Mais ils savaient la
patrie en danger. Leurs fils mouraient a la frontiere, et, tandis que le
plus pur de leur sang arrosait les bords du Rhin ou grossissait les eaux de
la Loire, ils etaient prets a sacrifier leur vie pour la defense de leurs
foyers. Et personne alors ne songeait a rire en voyant ce singulier
assemblage de piques, de batons, de sabres et de fusils, ces vetements
deguenilles, ces bras nus, tout noirs encore des fumees de la forge ou de
l'atelier, qu'on venait de quitter, pour saluer en commun l'aurore des
temps modernes!
Derriere les gardes nationaux marchait une troupe de jeunes gens qui
portaient sur leurs epaules des arbres de la liberte, pares de fleurs et de
rubans. Apres eux, les freres de la _Societe populaire_, coiffes du bonnet
phrygien, soulevaient au-dessus de leur tete les trois pierres de la
Bastille. Des chars, splendidement ornes et ombrages par des drapeaux,
presentaient aux regards de la foule, comme un double objet de veneration,
des vieillards et des soldats blesses: les victimes de l'age et les
victimes de la guerre! Sublime allegorie qui enseignait a la fois le
respect qu'on doit a l'experience et la pitie que merite le malheur!
Quelques pas en arriere venait la deesse de la Liberte. Mais ce n'etait pas
cette _forte femme qui veut qu'on l'embrasse avec des bras rouges de sang_,
cette femme _a la voix rauque_, cette furie enfantee, dans un moment de
delire, par l'imagination d'un grand poete. C'etait une belle jeune fille,
dont les blonds cheveux se deroulaient avec grace sur les epaules. Une
tunique blanche serrait sa taille. Elle rougissait sous les regards de la
foule, et cachait son
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