ait dans
la cour du chateau. Les gens de la maison, deja reunis sur le perron,
virent descendre un homme entre deux ages et tout semblable a quelque
abbe de cour qui eut ete capitaine d'infanterie avant d'entrer dans les
ordres. Il avait la taille haute et la tete belle; il portait le rabat,
et ses bottes etaient eperonnees.
Sa demarche aisee annoncait un homme de cabinet. C'etait l'abbe de
Vertot lui-meme, un historien plein d'esprit, d'eloquence, intelligent,
avec toutes les qualites de l'historien, moins cette qualite supreme
dont nous parlions tout a l'heure, la verite. Il s'inquietait beaucoup
moins d'etre vrai que d'etre interessant, rare et curieux; pour peu que
les materiaux de son histoire fussent a sa portee, il s'en servait tres
volontiers; mais s'il fallait consulter les chartes anciennes, chercher
dans la poussiere des bibliotheques un document precieux, notre
historien s'en passait plus volontiers encore. Un jour qu'on lui avait
promis un recit authentique du siege de Malte:
--Ah! dit-il, vous venez trop tard, _mon siege est fait_.
La sagesse des nations a pieusement recueilli cette belle parole de
l'abbe de Vertot, et elle en a fait un proverbe.
Le jour dont nous parlons, il arrivait tout courant de Paris, porteur
d'une grande nouvelle:
--Ami, dit-il au jeune homme, on chante aujourd'hui le _Te Deum_ de la
paix. Cette fois vous etes libre, et je vous apporte, avec la croix de
Saint-Louis, l'ordre de regagner votre regiment, et, s'il vous plait,
nous partirons ce soir.
A cette nouvelle inattendue on eut vu briller un eclair dans les yeux
du jeune homme; il avait en ce moment six coudees, la taille des heros
d'Homere, et remettant a son pere cette croix militaire qu'il avait si
bien gagnee:--Accordez-moi, lui dit-il, l'honneur de la recevoir de vos
mains.
Le vieux seigneur, d'une main tremblante d'emotion, posa la croix de
Saint-Louis sur la poitrine de son fils, et lui-meme il reprit ce cordon
rouge dont il s'etait depouille pour ne pas ajouter a l'humiliation de
son enfant. Mais ce fut en vain que le pere et la mere priaient le jeune
homme de rester encore au chateau rien que le temps de feter sa gloire;
en vain que les jeunes filles le supplierent, de leurs regards muets, de
ne point partir si vite: il petillait d'impatience; il ne savait comment
contenir sa joie; il baisait les mains de son pere et de sa mere en
leur disant: "Laissez-moi partir." Il se voyait deja a la tete de son
regime
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