lle de Launay obeissait a cette voix severe;
morte ou vivante, elle devait sortir de cette abbaye entouree d'honneurs
et de respects.
Cependant, sous les voutes de ce palais de Versailles bati de ses mains
pour l'eternite, le roi se mourait, fierement et royalement, comme il
avait fait toutes choses. Il savait que son mal etait incurable, et
pourtant, dans son attitude et dans son regard, le plus habile homme
n'aurait pu voir que le calme et la majeste. Dans son antichambre
attendait, mele a la foule des courtisans de l'Oeil-de-Boeuf,
l'ambassadeur de Perse, et le roi, monte sur son trone, le recut comme
autrefois dans les meilleurs jours de sa vigoureuse sante. Il y eut
grand appartement le soir et grand couvert, et la presentation de deux
nouvelles duchesses; les vingt-quatre violons jouerent des sarabandes,
au grand etonnement du premier medecin Fagon et du premier chirurgien
Marechal. Le coucher du roi ne fut pas avance d'une heure. Le lendemain
de cette reception d'ambassadeur, le roi tint conseil d'Etat et soupa
dans sa chambre, apres avoir joue avec les dames.
Ainsi, chacun de ses derniers jours, Sa Majeste fut a l'oeuvre,
presidant tantot le conseil d'Etat, tantot le conseil des finances,
recevant l'un apres l'autre chacun de ses ministres, et tenant de
grandes conferences avec Mme de Maintenon, le duc de Noailles, M. le
chancelier, avec le duc du Maine et parfois M. le duc d'Orleans. Tel
etait _ce Jupiter mourant_, calme et resigne, et, comme il vit pleurer
un de ses valets de chambre: "Avez-vous pense, lui disait-il, que
j'etais immortel?" Il mourut. Peu de gens le pleurerent parmi tous
ces hommes qui toute leur vie etaient restes agenouilles devant sa
toute-puissance. Alors une voix se fit entendre en toute l'Europe: Le
roi est mort! Le monde entier l'appelait le _roi_, sans jamais dire: le
roi de France. A sa mort cependant, il y eut dans tout son royaume un
grand soupir d'allegeance; on etait las de cette grandeur; la France
soupirait apres la chose inconnue, et ne regretta point cette vieillesse
austere et silencieuse, abimee en toutes sortes de contemplations,
d'inquietudes et de repentirs.
Pendant que l'on portait en grande pompe aux caveaux de Saint-Denis
ce vieux roi chretien; pendant que Massillon, le pretre eloquent de
l'Oratoire, ecrivait cette oraison funebre du roi Louis le Grand, dont
la premiere ligne est sublime et digne de Bossuet: _Dieu seul est grand,
mes freres!_ le couvent des Mirami
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