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plaire. Elle est toute-puissante, elle est sage, elle aime avant tout la
simplicite et le bon sens. Permettez donc ici que je vous donne un bon
conseil: c'est de ne pas ressembler au portrait que fait de vous Mme de
La Croisette; elle vous donne a moi comme une savante, et moi je vous
presente a Mme de La Ferte comme une ingenue. Ainsi, redoutez de
paraitre une savante, ayez recours aux expressions les plus simples,
et rappelez-vous que les dames les plus suivies sont contentes de
rencontrer qui les ecoute. Un peu plus tard, quand vous aurez montre que
vous etes habile et prudente, il vous sera permis de laisser entrevoir
que vous etes une personne intelligente et d'un rare esprit.
Voila comme il parlait, d'une voix douce et d'un accent penetre. Mlle
de Launay, en toute hate, se rendit a Versailles. Tout chemin y menait
alors; on eut dit que Versailles, meme apres la mort du roi, etait reste
l'unique but des passions, des curiosites et des ambitions humaines.
Deja cependant de grands changements s'etaient operes dans ces demeures
royales; celui qui les remplissait de sa toute-puissance et de sa
majeste n'etait plus la pour imposer ses respects voisins du culte, et
les anciens courtisans des jours de gloire et de prosperite souveraine
auraient eu peine a reconnaitre ce rendez-vous de toutes les obeissances
et de toutes les soumissions. C'etait bien toujours le meme autel, ce
n'etait plus le meme dieu.
Le dieu de ceans etait un enfant timide, etonne, charmant, qui
s'essayait a vivre et non pas a commander. Les habitants de ces hauts
lieux, si soumis naguere et vivant dans une incessante adoration,
parlaient d'une voix plus haute et se trouvaient chez eux... Tant que
le vieux roi avait vecu, ils etaient chez le roi. Deja, en si peu
de temps, les actions etaient moins controlees; les discours moins
contenus; les courtisans relevaient la tete et pas un ne les
reconnaissait. Mme la duchesse de La Ferte, dont le mari etait au
service du jeune roi, s'ennuyait fort a cette cour enfantine, et son
accueil se ressentit de ses ennuis. Quand elle eut bien lu et relu la
lettre de M. de Fontenelle, et qu'elle eut interroge Mlle de Launay
comme une reine ferait d'une sujette:
--Il faut, dit-elle enfin, que M. de Fontenelle ait une grande opinion
de nos merites pour nous demander une protection qu'il pouvait si bien
vous accorder lui-meme. Il est tout-puissant a cette heure; il est le
voisin du soleil; il voit le vrai maitre.
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