mercierais Dieu pour sa bonte, meme au
milieu de l'adversite et de la souffrance!
--Mais tente encore un effort, Victor. Pense qu'autrement tu te
condamnes toi-meme a rester toute ta vie, palir devant cet eternel
pupitre; que ta jeunesse se passe, lente, triste et reguliere comme une
vieille horloge. La liberte, c'est l'espace, voila le bonheur de
l'homme; voir le monde contempler chaque jour de nouvelles merveilles,
se sentir emu a chaque battement du pouls, voila vivre!... Et alors,
apres deux ans d'independance, revenir dans sa patrie avec assez d'or
pour enrichir tous ceux que nous aimons!
--Oui, oui! s'ecria Victor comme hors de lui, je le lui demanderai
encore; et, s'il le faut, j'implorerai a genoux son consentement, je la
supplierai par ce qu'elle a de plus cher au monde...
--Et moi, vois-tu, je chercherai aujourd'hui le capitaine Morrelo au
cafe, et lui dirai qu'il doit t'aider. Laisse-moi faire... La bonne
idee! Nous partagerions la-bas, comme ici, le bien et le mal...
--Tais-toi, Jean, repliqua l'autre d'une voix etouffee. J'entends
monsieur qui vient au bureau.
--Ne lui dis rien de mon depart. Mon pere pourrait quelquefois changer
d'avis avant demain; on ne peut pas savoir.
--Non, mais tiens-toi tranquille; sans cela monsieur se facherait.
Les deux commis prirent leurs plumes; et, lorsque la porte s'ouvrit,
ils penchaient silencieusement la tete sur le papier, comme s'ils
etaient restes depuis des heures absorbes dans leur travail.
II
LE DEPART
Par une chaude journee du mois de juin, deux ou trois heures avant la
tombee du soir, une grande foule etait reunie au bord de l'Escaut,
regardant d'un oeil etonne un beau brick qui, pavillons deployes et
flottant au vent, mouillait dans le port, pret a appareiller. C'etait
_le Jonas_, equipe par la societe francaise _la Californienne:_ le
premier vaisseau qui fit un voyage direct au pays de l'or, nouvellement
decouvert.
Le pont du brick fourmillait deja de passagers qui agitaient a tout
moment leurs chapeaux en l'air et faisaient retentir sur les flots leurs
cris de triomphe. Du bord de l'Escaut, on leur envoyait de brillants
souhaits de bonheur. C'etait comme une kermesse, comme une joyeuse fete
a laquelle les habitants d'Anvers ne prenaient pas moins part que les
chercheurs d'or surexcites, quoique les emigrants fussent pour la
plupart des Francais des departements du Nord, et que tres-peu de Belges
se fussent laisse seduire par le
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