saire, si tu osais
entreprendre un voyage en Californie?
--Et ma mere, Jean?
--Oui, ta mere...; mais tu dois considerer que les parents sont tous les
memes. Si nous ne faisions pas un peu d'effort pour sauter hors du nid,
ils nous tiendraient sous leurs ailes, jusqu'a ce que les cheveux
commencent a grisonner sur notre tete...
--Tu ne peux croire, Jean, comme la seule idee d'une pareille resolution
fait trembler une mere. L'oncle de Lucie, lorsqu'il vient chez nous,
parle beaucoup des voyages lointains qu'il a faits en qualite de
capitaine de vaisseau. Ma pauvre mere palit a la moindre allusion. Elle
m'a toujours aime si tendrement! je ne peux pas lui enfoncer le poignard
dans le coeur.
--Tu dois le savoir, c'est pourtant le seul moyen de voir s'accomplir le
voeu de ton coeur. Le capitaine est un rude gaillard, il n'a pas
beaucoup d'estime pour l'homme qui use sa vie courbe sur un pupitre et
qui n'a vu qu'un petit coin du monde. Je gage que, si tu oses aller en
Californie, a ton retour il te donnera avec joie la main de sa niece.
--Il m'a promis son consentement aussitot que mes appointements
atteindront deux mille francs.
--Oui? alors tu attendras longtemps. La revolution, en France, a fait
languir le commerce. Monsieur n'a-t-il pas dit avant-hier qu'il serait
oblige de reduire nos appointements?
Victor tint les yeux baisses sans rien dire.
--Tu as peut-etre peur du long voyage? Demanda l'autre.
--Peur! moi?... s'ecria Victor sortant de sa reverie. Depuis six mois,
je meurs d'envie d'entreprendre ce voyage? Non-seulement la Californie
me fait entrevoir le moyen d'obtenir la main de Lucie, mais il y a
encore un autre sentiment egalement puissant, qui me montre dans les
contrees lointaines l'etoile d'un meilleur avenir. Juge, Jean: ma mere
s'est impose beaucoup de privations et a diminue son petit avoir pour
pouvoir me donner une bonne education. Sa boutique et mes appointements
subviennent a peine a notre entretien. L'instant est pourtant venu ou le
fruit de mon travail devrait rapporter quelque chose pour donner un peu
d'aisance a ses vieux jours, et la recompenser ainsi de son amour et de
ses sacrifices. J'aurais peur d'un voyage en Californie? Qui est-ce qui
soupire plus ardemment que moi apres cette terre promise? Le bien-etre
de ma mere et mon propre bonheur ne sont-ils pas la? Et n'ai-je pas des
raisons pour mepriser tous les dangers, s'il en existe? Ah! si je
pouvais t'accompagner, comme je re
|