s courir le monde, libre comme un oiseau, et ne
reconnaissant plus d'autre maitre que Dieu et le sort!
--Que veux tu dire? demanda son camarade stupefait.
--Ce que je veux dire? reprit Jean en tirant un papier plie de sa poche.
Voici le prospectus d'une societe francaise, _la Californienne_; elle a
fait faire toutes sortes d'instruments pour exploiter les meilleures
mines d'or en Californie. La ou l'on peut ramasser avec les mains le
metal le plus precieux, elle recueillera l'or par monceaux avec des
outils excellents et des procedes perfectionnes. Peut devenir
actionnaire qui veut. Moyennant deux mille francs, on obtient une
traversee libre sur un vaisseau de la societe, comme passager de seconde
classe, et on recoit deux actions qui donnent droit a une double part de
l'or recueilli. La-bas, en Californie, on n'a a s'inquieter de rien, la
societe procure a ses membres une bonne nourriture et des maisons de
bois confortables. Comme passager de troisieme classe, on ne verse que
douze cents francs; mais on ne recoit alors qu'une seule action. Mon
pere a consenti a sacrifier deux mille francs. Je deviendrai actionnaire
de _la Californienne_! Le navire _le Jonas_ est equipe par _la
Californienne_; dans quinze jours, il partira d'Anvers pour le pays de
l'or. La societe envoie encore quatre vaisseaux en Californie, entre
autres un du Havre de Grace, avec les outils et les directeurs, qui
doivent deja etre en mer pour recevoir la-bas les actionnaires.
Victor regarda son camarade avec des yeux etincelants. Ce qu'il
entendait le frappait de stupeur; car un sourire d'admiration illuminait
son visage rayonnant.
--Tu pars pour le pays de l'or! tu vas en Californie! murmura-t-il.
--Dans deux semaines.
--Toi, toi, Jean! La soif de l'or t'a-t-elle pris ainsi tout a coup?
--Oh! non; toi-meme, Victor, tu m'as mis la tete a l'envers en me
parlant sans cesse du pays extraordinaire qu'on vient de decouvrir. Je
vois dans ce voyage un bon moyen d'echapper a l'etouffante vie de
bureau; l'or n'est qu'un pretexte pour obtenir le consentement de mon
pere... Ah! ah! demain, je suis libre: demain, je deviens actionnaire de
_la Californienne_; demain, je retiens ma place sur le navire _le
Jonas!_
--Que tu es heureux! dit Victor en soupirant. Mon Dieu, que ne
donnerais-je pas pour pouvoir etre ton compagnon de voyage!
--Tu n'as qu'a vouloir, Victor. L'oncle de Lucie n'a-t-il pas declare
vingt fois qu'il te preterait l'argent neces
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