e qui couvrait nos secretes amours avant de m'etre assure
par la reflexion et l'experience de la solidite de notre affection
mutuelle. Apres une premiere nuit d'enivrement, je n'ai pas presente
Eugenie a mes camarades en leur disant: "Voici ma maitresse,
respectez-la a cause de moi." J'ai cache mon bonheur jusqu'a ce que
j'aie pu leur dire avec confiance et loyaute: "Voici ma femme, elle est
respectable par elle-meme."
--Eh bien, moi, je me sens plus fort que vous, dit Horace avec hauteur.
Je dirai a tout le monde: "Voici mon amante, je veux qu'on la respecte.
Je contraindrai les recalcitrants a se prosterner, s'il me plait, devant
la femme que j'ai choisie."
--Vous n'y parviendrez pas ainsi, eussiez-vous le bras invincible des
antiques _pourfendeurs_ de la chevalerie. Au temps ou nous vivons, les
hommes ne se craignent pas entre eux; et on ne respectera votre amante,
comme vous l'appelez, qu'autant que vous la respecterez vous-meme.
--Mais vous etes singulier, Theophile! En quoi donc ai-je outrage celle
que j'aime? Elle est venue se jeter dans mes bras, et je l'y ai retenue
une heure ou deux de plus qu'il ne convenait d'apres votre code des
convenances. Vraiment, j'ignorais que la vertu et la reputation d'une
femme fussent reglees comme le pouvoir des recors, d'apres le lever et
le coucher du soleil.
--Ce sont la de bien mauvaises plaisanteries, lui dis-je, pour une
journee aussi solennelle que celle-ci devrait l'etre dans l'histoire de
vos amours. Si Marthe en prenait aussi legerement son parti, j'aurais
peu d'estime pour elle. Mais elle en juge tout autrement, a ce qu'il me
parait, car elle n'a pas cesse de pleurer depuis ce matin. Je ne vous
demande pas la cause de ses larmes; mais n'aurez-vous pas la lui
demander avec un visage moins riant et des manieres moins degagees?
--Ecoutez, Theophile, dit Horace en reprenant son serieux, je vais vous
parler franchement, puisque vous m'y contraignez. L'amitie que j'ai pour
vous me defendait de provoquer une explication que votre severite envers
moi rend indispensable. Sachez donc que je ne suis plus un enfant, et
que s'il m'a plu jusqu'ici de me laisser traiter comme tel, ce n'est pas
un droit que vous avez acquis irrevocablement et que je ne puisse pas
vous oter quand bon me semblera. Je vous declare donc aujourd'hui que
je suis las, extremement las, de l'espece de guerre qu'Eugenie et vous
faites, au nom de M. Paul Arsene, a mes amours avec Marthe. Je n'agis
pas
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