aussi legerement que vous le croyez en mettant de cote toute feinte
et toute retenue a cet egard. Il est bon que vous sachiez tous, vous
et vos amis, que Marthe est ma maitresse et non celle d'un autre.
Il importe a ma dignite, a mon honneur, de n'etre pas admis ici en
surnumeraire, mais d'etre bien pour vous, pour eux, pour Marthe, pour
tout le monde et pour moi-meme, l'amant, le seul amant, c'est-a-dire le
maitre de cette femme. Et comme depuis quelque temps, grace au singulier
role que vous me faites jouer, grace aux pretentions obstinees de M.
Paul Arsene, grace a la protection peu deguisee que lui accorde Eugenie
(grace a votre neutralite, Theophile), grace a l'amitie equivoque qui
regne entre Marthe et lui, grace enfin a mes propres soupcons, qui me
font cruellement souffrir, je ne sais plus ou j'en suis, ni ce que je
suis ici, j'ai resolu de savoir enfin a quoi m'en tenir, et de bien
dessiner ma position. C'est pour cela que je me presente ici ce matin,
la tete levee, et que je viens vous dire a tous, sans tergiversation
et sans ambiguite: "Marthe a passe cette nuit dans mes bras, et si
quelqu'un le trouve mauvais, je suis pret a connaitre de ses droits, et
a lui ceder les miens, s'ils ne sont pas les mieux fondes."
--Horace, lui dis-je en je regardant fixement, si telle est votre pensee
ce matin, a la bonne heure, je l'accepte; mais si c'etait celle que vous
aviez hier soir en retenant Marthe aupres de vous pour la compromettre,
c'est un calcul bien froid pour un homme aussi ardent que vous le
paraissez, et je vois la plus de politique que de passion.
--La passion n'exclut point une certaine diplomatie, repondit-il en
souriant. Vous savez bien, Theophile, que j'ai commence ma vie par la
politique. Si je deviens homme de sentiment, j'espere qu'il me restera
pourtant quelque chose de l'homme de reflexion. Mais rassurez-vous, et
ne vous scandalisez pas ainsi. Je vous avoue qu'hier soir j'ai ete fort
peu diplomate, que je n'ai pense a rien, et que j'ai cede a l'ivresse du
moment. Mais ce matin, en me resumant, j'ai reconnu qu'au lieu d'un
sot repentir je devais avoir le contentement et l'energie d'un amant
heureux.
--Ayez-les donc, lui dis-je, mais faites que votre visage et votre
contenance n'expriment pas autre chose que ce que vous eprouvez; car, en
ce moment, vous avez, malgre vous, l'air d'un fat."
J'etais irrite en effet par je ne sais quoi de vain et d'arrogant qu'il
avait ce jour-la, et que, pour tout
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