s ses yeux. Et puis
notre entourage voyait confusement ce qui se passait entre eux. Ceux qui
n'aimaient pas Horace se plaisaient a douter de son triomphe, du
moins ils affectaient devant lui de croire a celui d'Arsene. Ceux qui
l'aimaient blamaient Marthe de ne pas se prononcer ouvertement pour
lui en chassant son rival, et ils le faisaient sentir a Horace.
Enfin, d'autres jeunes gens qui, n'etant pour nous que de simples
connaissances, ne venaient pas chez nous et jugeaient de nous avec une
legerete un peu brutale, se permettaient sur Marthe ces propos cruels
que l'on pese si peu et qui se repandent si vite. Obeissant a cette
jalousie non raisonnee que l'on eprouve pour tout homme heureux en
amour, ils rabaissaient Marthe, afin de rabaisser le bonheur d'Horace a
leurs propres yeux. Plusieurs de ceux-la, qui avaient fait la cour a la
beaute du cafe Poisson, se vengeaient de n'avoir pas ete ecoutes, en
disant que ce n'etait pas une conquete si difficile et si glorieuse,
puisqu'elle ecoutait un hableur comme Horace. Quelques-uns meme disaient
qu'elle avait eu pour amant son premier garcon de cafe. Enfin, je ne
sais quel esprit fut assez bas, et quelle langue assez grossiere, pour
emettre l'opinion qu'elle etait a la fois la maitresse d'Arsene, celle
d'Horace et la mienne.
Ces calomnies n'arriverent pas alors jusqu'a moi; mais on eut
l'imprudence de les repeter a Horace. Il eut la faiblesse d'en etre
impressionne, et il ne songea bientot plus qu'a eblouir et terrasser ses
detracteurs par une demonstration irrecusable de son triomphe sur tous
ses rivaux vrais ou supposes. Il tourmenta Marthe si cruellement qu'il
lui fit un crime et un supplice de la vie tranquille et pure qu'elle
menait aupres de nous. Il voulut qu'elle se montrat seule avec lui au
spectacle et a la promenade. Ces temerites affligeaient Eugenie, et
ne lui paraissaient que d'inutiles bravades contre l'opinion. Tout ce
qu'elle tentait pour empecher son amie de s'y preter poussait a bout
l'impatience et l'aigreur d'Horace.
"Jusqu'a quand, disait-il a Marthe, resterez-vous sons l'empire de ce
chaperon incommode et hypocrite, qui se scandalise dans les autres de
tout ce qui lui semble personnellement legitime? Comment pouvez-vous
subir les admonestations pedantes de cette prude, qui n'est pas sans
vues interessees, j'en suis certain, et qui regarde comme l'amant
preferable celui qui peut donner a sa maitresse le plus de bien-etre et
de liberte? Si vous m'aim
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