ulait que la
pauvre Marthe fut l'une ou l'autre. Le lendemain, apres un feuilleton
de Janin, il fallait qu'elle devint a ses yeux une elegante et coquette
patricienne. Enfin, apres les chroniques romantiques d'Alexandre Dumas,
c'etait une tigresse qu'il fallait traiter en tigre; et apres _la Peau
de chagrin_ de Balzac, c'etait une mysterieuse beaute dont chaque regard
et chaque mot recelait de profonds abimes.
Au milieu de toutes les fantaisies d'autrui, Horace oubliait de regarder
le fond de son propre coeur et d'y chercher, comme dans un miroir
limpide, la fidele image de son amie. Aussi, dans les premiers temps,
fut-elle cruellement ballottee entre les femmes de Shakespeare et celles
de Byron.
Cette appreciation factice tomba enfin, quand l'intimite lui montra dans
sa compagne une femme veritable de notre temps et de notre pays, tout
aussi belle peut-etre dans sa simplicite que les heroines eternellement
vraies des grands maitres, mais modifiee par le milieu ou elle vivait,
et ne songeant point a faire du modeste menage d'un etudiant de nos
jours la scene orageuse d'un drame du moyen age. Peu a peu Horace ceda
au charme de cette affection douce et de ce devouement sans bornes dont
il etait l'objet. Il ne se raidit plus contre des perils imaginaires; il
gouta le bonheur de vivre a deux, et Marthe lui devint aussi necessaire
et aussi bienfaisante qu'elle lui avait semble lui devoir etre funeste.
Mais ce bonheur ne le rendit pas expansif et confiant: il ne le ramena
pas vers nous; il ne lui inspira aucune generosite a l'egard de Paul
Arsene. Horace ne rendit jamais a Marthe la justice qu'elle meritait
dans le passe aussi bien que dans le present; et, au lieu de reconnaitre
qu'il l'avait mal comprise, il attribua a sa domination jalouse la
victoire qu'il croyait remporter sur le souvenir du Masaccio. Marthe
aurait desire lui inspirer une plus noble confiance: elle souffrait de
voir toujours le feu de la colere et de la haine pret a se rallumer au
moindre mot qu'elle hasarderait en faveur de ses amis meconnus. Elle
rougissait des precautions minutieuses et assidues qu'elle etait forcee
de prendre pour maintenir le calme de son esclavage, en ecartant toute
ombre de soupcon. Mais comme elle n'avait aucune velleite d'independance
etrangere a son amour, comme, a tout prendre, elle voyait Horace
satisfait de ses sacrifices et fier de son devouement, elle se trouvait
heureuse aussi; et pour rien au monde elle n'eut voulu cha
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