e et genereux tant qu'on est repousse; mais le bonheur
rend exigeant et cruel. Voila ce qui m'arrive avec Horace. Durant ces
heures de la nuit que nous avons passees ensemble, il y avait une
alternative continuelle de douceur et de fierte entre nous. Quand je me
revoltais contre lui, il etait a mes pieds pour me calmer; mais, a peine
m'avait-il amenee a m'humilier devant lui, qu'il m'accablait de nouveau.
Ah! je crois que l'amour rend mechant!
--Oui, l'amour des mechants," repliqua Eugenie en secouant tristement la
tete.
Eugenie etait injuste; elle ne voyait pas la verite mieux que Marthe.
Toutes deux se trompaient, chacune a sa maniere. Horace n'etait ni aussi
respectable ni aussi mechant qu'elles se l'imaginaient. Le triomphe le
rendait volontiers insolent; il avait cela de commun avec tant d'autres,
que si on voulait condamner rigoureusement ce travers, il faudrait
mepriser et maudire la majeure partie de notre sexe. Mais son coeur
n'etait ni froid ni deprave. Il aimait certainement beaucoup; seulement,
l'education morale de l'amour lui ayant manque, ainsi qu'a tous les
hommes, comme il n'etait pas du petit nombre de ceux dont le devouement
naturel fait exception, il aimait seulement en vue de son propre
bonheur, et, si je puis m'exprimer ainsi, pour l'amour de lui-meme.
Il vint dans la journee; et, au lieu d'etre confus devant nous, il se
presenta d'un air de triomphe que je trouvai moi-meme d'assez mauvais
gout. Il s'attendait a des plaisanteries de ma part, et il s'etait
prepare a les recevoir de pied ferme. Au lieu de cela, je me permis de
lui faire des reproches.
"Il me semble, lui dis-je en l'emmenant dans mon cabinet, que tu aurais
pu avoir avec Marthe des entrevues secretes qui ne l'eussent pas
compromise. Cette nuit passee dehors sans preparation, sans pretexte,
pourra faire beaucoup jaser les gens de la maison."
Horace recut fort mal cette observation.
--J'admire fort, dit-il, que tu prennes tant d'ombrage pour elle,
lorsque tu vis publiquement avec Eugenie!
--C'est pour cela qu'Eugenie est respectee de tout ce qui m'entoure,
repondis-je. Elle est ma soeur, ma compagne, ma maitresse, ma femme, si
l'on veut. De quelque facon qu'on envisage notre union, elle est absolue
et permanente. Je me suis fait fort de la rendre acceptable a tous ceux
qui m'aiment, et d'entourer Eugenie d'assez d'amis devoues pour que le
cri de l'intolerance n'arrive pas jusqu'a ses oreilles. Mais je n'ai pas
leve le voil
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