gagne assez pour subvenir indirectement a tous les besoins de
Marthe, en ayant l'air de ne s'occuper que de ses soeurs. Je sais que
nos petits travaux d'aiguille ne rapportent pas suffisamment pour faire
vivre trois femmes (ma part prelevee) dans l'aisance, la proprete et la
liberte ou vivent Marthe et les soeurs d'Arsene. Tout ce que je sais,
tout ce que je vous dis, Marthe l'ignore encore. Elle n'a jamais tenu un
menage par elle-meme; elle a l'inexperience d'un enfant a cet egard-la.
Arsene la trompe, et nous l'y aidons, pour qu'elle ne connaisse ni les
privations ni l'exces du travail. Par contre-coup, il faut aussi tromper
les soeurs, sur la discretion desquelles nous ne pouvons pas compter.
Jusqu'ici je me suis chargee de la comptabilite; je leur ai fait croire
a toutes que les recettes l'emportaient sur les depenses, tandis que
c'est le contraire qui est vrai. Mais cet etat de choses ne peut durer
desormais. Arsene s'est toujours flatte secretement que Marthe prendrait
pour lui une affection serieuse, lorsque, revenue de ses terreurs
et guerie de ses blessures, son ame s'ouvrirait a de plus douces
impressions. J'ai partage son illusion, je vous l'avoue, et j'ai fait
tout mon possible pour preserver Marthe d'un autre attachement. Je n'ai
pas reussi. Maintenant, dites-moi ce que vous feriez a ma place du
secret d'Arsene, et quel conseil vous donneriez a l'un et a l'autre."
Cette ouverture deconcerta beaucoup Horace. "Je suis sans fortune,
dit-il; comment pourrai-je servir de protecteur a une femme, moi qui
n'ai encore pu m'aider et me guider moi-meme?"
Il se promena dans sa chambre avec agitation, et peu a peu ses idees se
rembrunirent. "Je n'avais pas prevu tout cela, moi! s'ecria-t-il avec un
chagrin qui n'etait pas sans melange d'humeur. Je n'ai jamais songe a
rien de pareil. Pourquoi faut-il absolument qu'entre deux etres qui
s'aiment, il y ait un protecteur et un protege? Vous, Eugenie, qui
reclamez toujours l'egalite pour votre sexe...
--Oh! Monsieur, repondit-elle, je la reclame et je la pratique, bien
qu'elle soit difficile a conquerir dans la societe presente. Je sais
borner mes besoins au peu que mon industrie me procure. Vous savez
comment je vis avec Theophile, et vous savez par consequent que je
ne perds pas un jour, pas une heure. Mais savez-vous en quoi je le
considere comme mon protecteur legitime et naturel? Si je tombais
malade et que je fusse longtemps privee de travail, au lieu d'aller a
l'
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