n stupefaite; tu veux donc nous
renvoyer, Paul? tu veux donc nous abandonner?
--Ni l'un ni l'autre, repondit-il; vous etes mes soeurs, et je connais
mon devoir. Mais j'ai cru que vous haissiez la capitale et que vous
desiriez partir.
Louison repondit qu'elle s'etait habituee a la vie de Paris, qu'elle ne
trouverait plus d'ouvrage au pays, puisque son depart lui avait fait
perdre sa clientele, et qu'elle desirait rester.
Depuis qu'a force d'ecouter a travers la cloison, Louise avait surpris
tous les secrets de notre menage, elle s'etait reconciliee avec le
sejour de Paris, grace aux avantages qu'elle avait cru pouvoir tirer du
devouement incomparable de son frere. Jusque-la elle n'avait pas connu
Arsene; elle avait compte sur une sorte d'assistance, mais non pas sur
un complet abandon de ses gouts, de sa liberte, de son existence tout
entiere. Elle n'avait pas compris non plus cette activite, ce courage,
cette aptitude au gain, si l'on peut s'exprimer ainsi, qui se
developpaient en lui lorsqu'il etait mu par une passion genereuse. Des
qu'elle sut tout le parti qu'on pouvait tirer de lui, elle le regarda
comme une proie qui lui etait assuree et qu'elle devait se mettre en
mesure d'accaparer. Les seules passions qui gouvernent les femmes mal
elevees, lorsqu'une grandeur d'ame innee ne contre-balance pas les
impressions journalieres, ce sont la vanite et l'avarice. L'une les mene
au desordre, l'autre a l'egoisme le plus etroit et le plus impitoyable.
Louison, privee de bonne heure des soins d'une mere, sacrifiee a
une maratre, et abandonnee a de mauvais exemples ou a de mauvaises
inspirations, devait subir l'une ou l'autre de ces passions funestes.
Elle pencha par reaction vers celle que sa belle-mere n'avait pas, et,
vertueuse par haine du vice qu'elle avait sous les yeux, elle se livra
par instinct a celui que lui suggeraient la misere et les privations.
Elle devint cupide; et, ne songeant plus qu'a satisfaire ce besoin
imperieux, elle y puisa une adresse et une fourberie dont son
intelligence bornee n'eut pas semble susceptible. C'est ainsi qu'elle
avait pousse Marthe dans le piege, et que desormais elle se flattait de
regner sans partage sur la conscience de son frere.
"Ce qu'il faisait pour nous, disait-elle tout bas a Suzanne, a cause de
cette paienne, il le fera encore mieux quand il saura, grace a nous,
combien elle en etait indigne."
Suzanne n'avait pas, a beaucoup pres, l'ame aussi noire que sa soeur;
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