see. Tant que je serai vivant, tout ce qui est a moi est a vous;
mais, je vous l'ai dit, je ne suis pas immortel, et il faut songer...
--Mais quelles idees a-t-il donc aujourd'hui! s'ecria Louison en se
retournant avec effroi vers Suzanne; ne dirait-on pas qu'il veut se
faire perir? Ah ca, mon frere, est-ce que le chagrin te prend? Est-ce
que tu vas te faire de la peine pour cette...
--Je vous defends de jamais prononcer devant moi le nom de Marthe!
dit Arsene avec une expression qui fit palir les deux soeurs. Je vous
defends de jamais me parler d'elle, meme indirectement, soit en bien,
soit en mal, entendez-vous? La premiere fois que cela vous arrivera,
vous me verrez sortir d'ici pour n'y jamais rentrer. Vous etes averties.
--Il suffit, dit Louison terrassee, on s'y conformera. Mais ce n'est
pas vous parler d'elle, Paul, que de vous conjurer de ne pas avoir de
chagrin.
--Ceci ne regarde personne, reprit-il avec la meme energie, et je ne
veux pas non plus qu'on m'interroge. J'ai parle de mort tout a l'heure,
et je dois vous dire que je ne suis pas homme a me suicider. Je ne suis
pas un lache; mais le temps est a la guerre, et je ne dis pas qu'une
revolution se declarant, je n'y prendrais point part comme j'ai deja
fait l'annee derniere. Ainsi, habituez-vous a l'idee de vous suffire
un jour a vous-memes, comme d'honnetes artisanes doivent et peuvent le
faire. Je vais a mon bureau. Raccommodez vos nippes en attendant; car
dans quelques jours vous aurez de l'ouvrage. Mais je vous defends d'en
demander ou d'en accepter d'Eugenie."
"Vois-tu, dit Louison a sa soeur des qu'il fut sorti, tout a reussi
comme je le voulais. Il deteste aussi Eugenie a present. Il croit que
c'est elle qui a perdu Marthe."
Suzanne baissa la tete avec embarras, puis elle dit: "Il a le coeur bien
gros; il ne pense qu'a mourir.
--Bah! c'est l'histoire du premier jour, reprit l'autre; tu verras que
bientot il n'y pensera plus. Arsene est fier; il ne voudra pas se faire
de la peine pour une fille qui se moque de lui avec un autre, et tu
verras aussi qu'il sera le premier a nous en parler, et a etre content
quand nous dirons du mal d'elle.
--C'est egal, je ne le ferai jamais, dit Suzanne.
--Oh! toi, _une sans coeur_, une sotte qui aurait tout supporte de la
part de Marton sans rien dire! Tu as trop d'indulgence, Suzon. Si tu
avais des principes, tu saurais qu'il ne faut pas etre trop bonne pour
les femmes sans moeurs. Tu verras, je te
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