t semblent se
dire que les autres injustices ne les regardent pas encore.
Est-il vrai qu'il ne faille jamais hesiter et qu'on ne fasse tout son
devoir qu'autant qu'on ne se doute meme pas qu'on le fait? Est-il
indispensable qu'on s'eleve a un point d'ou le devoir n'apparaisse plus
comme un choix de nos sentiments les plus nobles, mais comme une
silencieuse necessite de toute notre nature?
LXIII
Il en est qui attendent, s'interrogent, jugent, pesent, et se decident
enfin. Ils ont raison aussi. Qu'importe que l'accomplissement d'un devoir
soit le resultat de l'instinct ou de l'intelligence? Les gestes de
l'instinct, comme les gestes de l'enfant, ont ordinairement une beaute un
peu vague, naive, inattendue, qui nous touche davantage, mais ceux de la
bonne volonte reflechie ne possedent-ils pas une beaute plus serieuse et
plus ferme? Il est donne a peu de coeurs d'etre naivement admirables; et
l'on aurait tort d'aller chercher en eux toutes les lois de nos devoirs. Au
reste, la bonne volonte reflechie, alors meme qu'elle n'a plus d'illusions,
apercoit un grand nombre de devoirs moins seduisants, que l'instinct ne
voit pas; et la valeur morale d'un etre ne s'estime-t-elle point au nombre
des devoirs qu'il apercoit et qu'il a l'intention d'accomplir.
Il est bon que la plupart suivent sans s'interroger trop attentivement (car
il faut s'interroger bien longtemps pour que les reponses de la conscience
deviennent enfin semblables aux reponses de l'instinct); il est bon que la
plupart suivent en attendant l'instinct du sacrifice dans le devoir. Ils
suivent ainsi, les yeux fermes, une lumiere que les meilleurs de leurs
ancetres invisibles portent devant eux. Mais enfin, ce n'est pas la
l'ideal; et celui qui abandonne la moindre chose au profit de son frere,
sachant ce qu'il abandonne et pourquoi il le fait, occupe dans la vie
morale une situation plus haute que celui qui offre sa vie meme sans avoir
jete un regard en arriere.
LXIV
Le monde est plein d'etres faibles et nobles qui s'imaginent que le
dernier mot du devoir se trouve dans le sacrifice. Le monde est plein de
belles ames qui, ne sachant que faire, cherchent a sacrifier leur vie; et
cela est regarde comme la vertu supreme. Non, la vertu supreme est de
savoir que faire, et d'apprendre a choisir a quoi l'on peut donner sa vie.
Ce n'est que provisoirement que le devoir pour chacun de nous est ce qu'il
croit etre son devoir. Le premier de tous nos d
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