n'attend aucune recompense? Il y a
une joie humaine a faire le bien en poursuivant un but; il y a une joie
divine a faire le bien et a n'esperer rien. On sait en general pourquoi
l'on fait le mal; mais moins on sait exactement pourquoi l'on fait le bien,
plus est pur le bien que l'on fait. Pour apprendre ce que vaut un juste,
demandons-lui pourquoi il est juste: il est probable que celui qui aura le
moins a repondre sera le juste le plus parfait. Il se peut qu'a mesure que
l'intelligence s'etend, le nombre des raisons qui poussent une ame a
l'heroisme semblent diminuer, mais en meme temps l'intelligence s'apercoit
qu'elle n'a plus d'autre ideal qu'un heroisme de plus en plus secret et
desinteresse.
Quoi qu'il en soit, celui qui eprouve le besoin d'agrandir la vertu en y
ajoutant l'approbation du destin et du monde, n'a pas encore le sentiment
de la vertu. On n'agit vraiment bien que lorsqu'on agit bien pour soi seul,
sans autre attente que de savoir de mieux en mieux ce que c'est que le
bien. "Sans autre temoin que son coeur", dit Saint-Just. Il y a,
j'imagine, aux yeux de Dieu, une difference notable entre l'ame d'un homme
qui est persuade que les rayons d'un acte de vertu n'ont pas de limites, et
l'ame de celui qui se dit que ces rayons ne sont probablement pas faits
pour sortir de l'enceinte de son coeur. Une verite trop ambitieuse, pour
n'etre pas douteuse, peut donner un moment une force plus grande, mais une
verite plus humble et plus humaine donne toujours une force plus patiente
et plus grave. Faut-il etre le soldat convaincu que chacun de ses coups
determine la victoire, ou celui qui sait la petite chose qu'il est dans la
melee et combat neanmoins d'un courage aussi ferme? L'homme de bien se
ferait scrupule de tromper son prochain, mais n'est que trop porte a
accepter la pensee que se tromper un peu soi-meme est un acte d'ideal.
Mais revenons aux deceptions du juste. Je crois que les meilleurs d'entre
nous chercheraient un autre bonheur si la vertu etait utile, et Dieu leur
oterait leur grande raison de vivre s'il les recompensait souvent. Il est
probable que rien n'est necessaire, que rien n'est indispensable, et que si
l'ame n'avait plus cette joie de faire le bien parce qu'il est le bien,
elle en trouverait une autre plus pure encore; mais en attendant, c'est la
plus belle qu'elle possede, n'y touchons pas sans motif. Ne touchons pas
trop aux malheurs de la vertu, de peur de toucher en meme temps a l'essenc
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