ne porte.
Il faudrait benir ces defaites. Si le hasard voulait qu'a chaque fois que
nous pardonnons, notre ennemi devint notre frere, nous mourrions sans
savoir ce qu'eclaire en nous une clemence imprudente qu'on ne regrette pas.
Nous mourrions sans avoir eu l'occasion de mesurer les forces qui entourent
notre vie, a l'aide de la force la plus grande qui se trouve dans notre
ame. L'inutilite d'un acte de bonte, l'inefficacite apparente d'une pensee
elevee ou simplement loyale, jette sur une foule de choses un rayon d'une
autre nature que celui qu'y pourrait projeter toute l'utilite du bien.
Certes, il y aurait une grande joie a constater le triomphe invariable de
l'amour; mais il y a une joie plus grande encore a aller au travers de
cette illusion jusqu'a la verite. "L'homme, a dit un penseur que la mort
nous enleva trop tot, l'homme a trop souvent, tout le long de l'histoire,
place sa dignite dans les erreurs, et la verite lui a paru d'abord une
diminution de lui-meme. La verite ne vaut pas toujours le reve, mais elle a
cela pour elle qu'elle est vraie. Dans le domaine de la pensee il n'y a
rien de plus moral que la verite."
Et cette verite n'a rien d'amer, aucune verite n'est amere pour le sage. Il
a pu desirer lui aussi que la vertu transportat des montagnes et qu'un acte
d'amour adoucit a jamais l'ame de tous ses freres. Mais aujourd'hui, il
apprend a preferer qu'il n'en soit pas ainsi. Et ce n'est pas pour les
satisfactions qu'y cueille son orgueil. Il ne se juge pas meilleur que
l'univers, mais il s'y croit moins important. Il ne cultive plus la passion
de justice qu'il trouve dans son ame pour les fruits spirituels qu'elle
rapporte, mais par respect pour tout ce qui existe, et pour les fleurs
inattendues qu'elle fait naitre en son intelligence. Il ne maudit pas
l'ingrat, il ne maudit meme pas l'ingratitude; il ne se dit pas: "Je suis
meilleur que cet homme", ou "Je ne tomberai pas dans ce vice." Mais
l'ingratitude lui apprend qu'il y a dans le bienfait des joies plus
spacieuses, moins personnelles et plus conformes a la vie generale que
celles qu'il attendait de la reconnaissance. Il aime mieux essayer de
comprendre ce qui est, que de s'efforcer de croire ce qu'il desire. Il a
vecu longtemps comme le pauvre transporte brusquement du fond de sa cabane
dans un palais immense. A son reveil, il cherchait avec inquietude, dans
les salles trop vastes, les miserables souvenirs de son etroite chambre. Ou
donc etaient l
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