se toujours. Le petit
bourgeois est plein de prejuges, de passions qui semblent ridicules,
d'idees etroites, mesquines et souvent assez basses; cependant, mettez-le a
cote du sage dans les circonstances essentielles de la vie; devant la
douleur, devant la mort, devant l'amour, devant l'heroisme reel, il
arrivera plus d'une fois que le sage se tournera vers son humble compagnon,
comme vers le depositaire d'une verite aussi humaine, aussi sure que la
sienne.
Il y a des moments ou le sage reconnait la vanite de ses tresors
spirituels; ou il s'apercoit que quelques habitudes, quelques mots, a
peine le separent des autres hommes, et ou il doute de la valeur de ces
mots. Ce sont les moments les plus feconds de la sagesse. Penser, c'est
souvent se tromper, et le penseur qui s'egare a frequemment besoin, pour
retrouver sa route, de revenir au lieu ou sont restes fidelement assis,
autour d'une verite silencieuse mais necessaire, ceux qui ne pensent
guere. Ils gardent le foyer de la tribu; les autres en promenent les
torches, et quand la torche se met a vaciller dans un air rarefie, il
est prudent de se rapprocher du foyer. On croirait qu'il ne change pas de
place, ce foyer, c'est qu'il avance en meme temps que les mondes, et sa
petite flamme marque l'heure reelle de l'humanite. On sait exactement ce
que la force inerte doit au penseur, mais on ne tient pas compte de ce que
le penseur doit a la force d'inertie. Un monde ou il n'y aurait que des
penseurs perdrait peut-etre la notion de plus d'une verite indispensable.
En realite, le penseur ne continue de penser juste que s'il ne perd jamais
contact avec ceux qui ne pensent pas.
Il est facile de dedaigner; il est moins aise de comprendre; et pourtant,
pour le sage veritable, il n'est pas un dedain qui ne finisse tot ou tard
par se changer en comprehension. Toute pensee qui passe avec dedain
au-dessus du grand groupe muet, toute pensee qui ne reconnait pas mille
soeurs, mille freres endormis dans ce groupe, n'est trop souvent qu'un reve
nefaste ou sterile. Il est bon de se rappeler parfois que dans l'atmosphere
spirituelle, comme dans l'atmosphere exterieure, il faut, sans doute, bien
plus d'azote que d'oxygene pour qu'elle demeure respirable.
LXXXV
Je comprends que des penseurs comme Balzac se soient plus a decrire des
petites vies de ce genre. Rien n'est plus eternellement semblable a
elles-memes que ces petites vies; et, cependant, de siecle en siecle, rien
ne ch
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