les profondeurs et les joies de la vie
dans cette generalite meme, plus nous nous rapprochons de la tranquillite
et de la verite de la grande force qui nous anime. Il n'est rien de moins
extraordinaire que l'ocean, par exemple, puisqu'il couvre les deux tiers de
notre globe; et pourtant il n'est rien de plus vaste. Il n'y a pas dans
l'homme, une pensee, un sentiment, un acte de beaute ou de grandeur qui ne
puisse s'affirmer dans la simplicite de l'existence la plus normale; et
tout ce qui n'y peut trouver place appartient encore aux mensonges de la
paresse, de l'ignorance ou de la vanite.
XC
Est-ce a dire que le sage ne doit attendre de la vie rien de plus que les
autres hommes, qu'il faut aimer la mediocrite, se contenter de peu, limiter
ses desirs et borner son bonheur de peur de ne pas etre heureux? Au
contraire, la sagesse qui renonce trop facilement a quelque espoir humain
est maladive et boiteuse. L'homme a plus d'un desir legitime qui se passe
fort bien de l'approbation d'une raison trop severe. Mais il ne faut pas se
croire malheureux tant qu'on ne possede qu'un bonheur qui ne semble pas
extraordinaire a ceux qui nous entourent. Plus on est sage, moins on a de
peine a se persuader qu'on possede un bonheur. Il est bon de se convaincre
que ce qu'il y a de plus enviable en un bonheur humain ce sont ses moments
les plus simples. Le sage apprend a animer et a aimer la substance
silencieuse de la vie. Il n'y a de joie fidele qu'en cette substance
silencieuse, et ce ne sont jamais les bonheurs extraordinaires qui osent
accompagner nos pas jusqu'au tombeau.
Il importe d'accueillir et d'embrasser aussi fraternellement que les autres
le jour qui s'approche et s'eloigne sans faire un geste inaccoutume de joie
ou d'esperance. Il a parcouru, pour venir jusqu'a nous, les memes espaces
et les memes univers que le jour qui nous trouve sur un trone ou dans le
lit d'un grand amour. Peut-etre cache-t-il sous son manteau des heures
moins eclatantes, mais plus humblement devouees. On compte le meme nombre
de minutes eternelles dans une semaine qui passe sans rien dire que dans
celle qui s'avance en poussant de longs cris. Au fond, tout ce qu'une heure
semble nous dire, c'est nous-memes qui nous le disons. L'heure est une
voyageuse hesitante et timide, qui se rejouit ou s'attriste selon le
sourire ou l'oeil morne de l'hote qui l'accueille. Ce n'est pas elle qui
doit nous apporter notre bonheur; c'est nous qui sommes charg
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