es heures, nous en fait
parcourir en silence les sentiers les plus inaccessibles. C'est quand le
sage est aussi heureux que possible, qu'il devient aussi peu exigeant,
aussi peu orgueilleux qu'on peut l'etre. C'est lorsqu'il sait qu'il possede
enfin tout ce qu'il est permis a l'homme de posseder, qu'il commence a
comprendre que ce qui fait la valeur de tout ce qu'il possede ne se trouve
que dans la maniere dont il envisage ce que l'homme ne pourra jamais
posseder. Aussi n'est-ce guere qu'au sein d'un bonheur prolonge qu'on
acquiert une vue independante de la vie. Il ne faut pas etre heureux pour
etre heureux, mais pour apprendre a voir distinctement ce que nous
cacherait toujours l'attente vaine et trop passive du bonheur.
XCII
Mais, laissons ce sujet pour nous rapprocher de ce que nous disions tout a
l'heure. Dans le royaume de notre coeur qui est, pour presque tous les
hommes, le royaume ou se recolte la substance meme de la vie, il n'y a pas
d'economies inutiles. Il serait preferable de n'y rien faire que de n'y
faire les choses qu'a demi, et c'est toujours ce qu'on n'a pas ose risquer
que l'on perd surement. Une passion ne nous enleve veritablement que ce que
nous croyons lui derober, et nous sommes toujours diminues de la part que
nous pensons avoir retenue pour nous-memes. D'ailleurs, il y a, dans notre
ame, certaines retraites si profondes, que l'amour seul ose en descendre
les degres, et c'est l'amour aussi qui en rapporte des joyaux imprevus,
dont nous n'apercevons l'eclat que dans le bref moment ou nos mains
s'ouvrent pour les offrir a des mains bien-aimees. On dirait, en effet, que
nos mains, en s'ouvrant pour donner, repandent parfois une clarte speciale,
qui perce des corps plus opaques que ne font les rayons mysterieux qu'on
vient de decouvrir.
XCIII
A quoi bon s'affliger longtemps de ses erreurs ou de ses pertes? Quoi
qu'il arrive, aux dernieres minutes de l'heure la plus triste, au bout de
la semaine, a la fin de l'annee, il y aura toujours lieu de sourire pour
l'homme de bonne foi lorsqu'il rentrera en lui-meme. Il apprend peu a peu a
regretter sans larmes. Il est le pere de famille qui, vers le soir, et le
travail fini, revient a la maison. Il se peut que les enfants pleurent,
jouent a des jeux devastateurs ou dangereux, aient derange les meubles,
brise un verre, renverse une lampe; ira-t-il se desesperer? Certes, il eut
ete preferable, au point de vue de la morale theorique, qu'
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