Cour dans une sorte de retraite prudente et
volontaire. Monsieur le Dauphin ne jouit pas de la faveur royale. Il est en
butte aux intrigues d'une cabale puissante et envieuse, qui parvient a
briser sa jeune gloire militaire. Il est enveloppe de disgraces, de
contretemps et de malheurs qui semblent irreparables a cette Cour vaniteuse
et servile, car les disgraces et les malheurs prennent les proportions que
les moeurs du moment leur accordent. Il meurt enfin, quelques jours apres
Madame la Dauphine, qu'il avait uniquement et follement aimee. Il meurt,
peut-etre empoisonne comme elle, et tombe en quelque sorte foudroye, a
l'heure meme ou les premiers rayons d'une faveur que l'on n'esperait plus
venaient dorer les marches de son palais.
Voila donc les tristesses, les mecomptes, les desappointements et les
troubles que parcoururent ces existences. Et pourtant, lorsque l'on
considere leur petit groupe silencieux et uni, au milieu de l'eclat
intermittent et capricieux des autres, ces quatre destinees semblent
vraiment belles et enviables. Une lumiere commune les accompagne en toutes
leurs vicissitudes. Elle sort de la grande ame de Fenelon. Fenelon est
fidele a de hautes pensees d'admiration, de saintete, de justice, de
douceur et d'amour; et les trois autres sont fideles a leur maitre et a
leur ami.
Qu'importe, ici, que les idees mystiques de Fenelon ne soient plus les
notres? Qu'importe aussi que les pensees que nous croyons les plus
profondes et les meilleures et sur lesquelles nous etablissons notre
bonheur moral et toutes les certitudes de notre vie, tombent en ruine
derriere nous, et fassent sourire un jour ceux qui auront trouve des
pensees qu'ils s'imagineront plus humaines et plus definitives? Ce qui
compte, ce qui ennoblit et eclaire notre vie, c'est bien moins nos pensees
que les sentiments qu'elles eveillent en nous. La pensee est peut-etre le
but; mais il en est de ce but comme du but de bien des voyages: c'est le
trajet, ce sont les etapes, c'est ce qu'on rencontre sur la route, c'est ce
qui nous arrive par surcroit, qui nous interesse le plus. Ce qui demeure
ici, comme en toutes choses, c'est la sincerite d'un sentiment humain. Une
pensee, nous ne savons jamais si elle ne nous trompe pas; mais l'amour
dont nous l'avons aimee retombera sur nous, sans qu'une seule goutte de sa
clarte ou de sa force se perde dans l'erreur. Ce qui constitue, ce qui
nourrit l'etre ideal que chacun de nous s'efforce de former en l
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