ut qu'elles y aient
passe leur enfance, qu'elles s'y soient nourries de toutes nos pensees, de
toutes nos actions, il faut qu'elles y retrouvent les mille souvenirs d'une
vie de sincerite et d'amour. A mesure que grandissent ces raisons, a mesure
que s'etend l'horizon de notre ame, s'etend pareillement l'horizon du
bonheur; car l'espace qu'occupent nos sentiments et nos pensees est le seul
dans lequel puisse se mouvoir notre bonheur. Notre bonheur n'a guere besoin
d'espace materiel, mais l'etendue morale qui s'ouvre devant lui n'est
jamais assez grande. Il faut toujours tacher a l'agrandir, jusqu'a ce
qu'arrive le moment ou notre bonheur ne demande plus d'autre nourriture que
l'espace meme qu'il decouvre en s'elevant. Alors l'homme commence a etre
heureux dans la partie vraiment humaine et inexpugnable de son etre, et
tous les autres bonheurs ne sont, au fond, que des fragments encore
inconscients de ce bonheur qui medite, regarde et n'apercoit plus de limite
en soi-meme, ni dans ce qui l'entoure.
LXXXI
Cet espace se restreint tous les jours dans le mal, parce que forcement
les pensees et les sentiments s'y restreignent. Mais l'homme qui s'est
eleve quelque peu ne fait plus le mal, parce qu'il n'est aucun mal qui ne
naisse, en derniere analyse, d'une pensee etroite ou d'un sentiment
mediocre. Il ne fait plus le mal parce que ses pensees sont devenues plus
hautes et plus pures et ses pensees deviennent plus pures encore de ce
qu'il ne peut plus faire le mal. Ainsi, nos actions et nos pensees, en
conquerant le ciel paisible ou la vie de notre ame peut s'etendre sans
trouble, sont aussi inseparables que les deux ailes de l'oiseau; et ce qui
pour l'oiseau n'est encore qu'une loi de l'equilibre, devient ici une loi
de la justice.
LXXXII
Qui nous dira si la sorte de satisfaction miserable que le mechant semble
trouver, par moment, dans le mal, devient sensible a l'ame avant qu'il ne
s'y mele un desir faible et vague, une promesse ou une possibilite
lointaine de bonte ou de misericorde?
Peut-etre le mechant qui vient de reduire a merci sa victime n'apercoit-il
un cote moins sombre et moins inutile dans sa joie qu'a l'instant ou il
songe qu'il pourrait pardonner. On dirait que la mechancete doit emprunter
parfois un rayon de lumiere a la bonte afin d'eclairer son triomphe. Est-il
possible a l'homme de sourire dans la haine sans chercher son sourire dans
l'amour? Mais ce sourire sera bien ephemere. Ici,
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