de tout ce qui entoure les murs
qui lui cachent tristement la veritable destinee de l'homme.
LXXIX
A quoi bon chercher la justice ou elle ne peut etre? Existe-t-elle
ailleurs que dans notre ame? La langue qu'elle parle semble la langue
naturelle de l'esprit humain; mais du moment que celui-ci veut voyager dans
l'univers, il faut qu'il apprenne d'autres mots. Il n'y a pas d'idee a
laquelle l'univers songe moins qu'a celle de la justice. Il ne s'occupe que
d'equilibre, et ce que nous appelons justice n'est qu'une transformation
humaine des lois de l'equilibre, de meme que le miel n'est qu'une
transformation des sucs qui se trouvent dans les fleurs. Hors de l'homme il
n'y a pas de justice; mais dans l'homme il ne se commet jamais
d'injustice. Le corps peut jouir de plaisirs mal acquis, mais l'ame ne
connait d'autres satisfactions que celles que sa vertu a meritees. Notre
bonheur interieur est pese par un juge que rien ne peut corrompre; car
essayer de le corrompre, c'est encore enlever quelque chose aux derniers
bonheurs veritables qu'il allait deposer dans le plateau lumineux de la
balance. Il est evidemment navrant que l'on puisse opprimer, comme le
firent les Rogron, un etre inoffensif, et qu'il soit possible d'assombrir
ainsi les quelques annees d'existence que le hasard des mondes lui departit
sur cette terre. Mais il ne faudrait parler d'injustice que si l'acte des
Rogron leur procurait une felicite interieure, une paix, une elevation de
pensee et d'habitude, analogues a celles que la vertu, la meditation et
l'amour procurerent a Spinoza ou bien a Marc-Aurele. On peut eprouver, il
est vrai, une certaine satisfaction intellectuelle a faire le mal. Mais le
mal que l'on fait restreint necessairement la pensee et la borne a des
choses personnelles et ephemeres. En commettant une action injuste nous
montrons que nous n'avons pas encore atteint le bonheur que l'homme peut
atteindre. Dans le mal meme, c'est, en derniere analyse, une certaine paix,
un certain epanouissement de son etre que le mechant recherche. Il peut se
croire heureux dans l'epanouissement qu'il y trouve; mais Marc-Aurele, qui
a connu l'autre epanouissement, l'autre tranquillite, y serait-il heureux?
Un enfant qui n'a pas vu la mer: on le mene sur la rive d'un grand lac; il
s'imagine voir la mer, il bat des mains, il n'en demande pas davantage;
mais la mer veritable en existe-t-elle moins?
A-t-il aux yeux de ceux qui virent autre chose, un bon
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