tout cas,
cela restitue a l'univers l'importance que cela enleve aux actes de notre
ame. Nous n'y perdons rien, puisque aucune grandeur, qu'elle soit dans la
nature ou au fond de son coeur, ne se perd pour le sage. Pourquoi nous
inquieter ainsi de la situation de l'infini? Tout ce qui peut en appartenir
a un etre n'appartiendra jamais qu'a celui qui l'admire.
LXXVIII
Vous souvenez-vous du roman de Balzac intitule: _Pierrette_ dans la serie
des _Celibataires_? Ce n'est pas un des chefs-d'oeuvre de Balzac, il s'en
faut; aussi n'est-ce pas a ce point de vue que j'en parle. On y voit une
douce et innocente orpheline bretonne que sa mauvaise etoile arrache un
jour a son grand-pere et a sa grand'mere qui l'adorent, pour l'ensevelir au
fond d'une ville de province dans la triste maison d'un oncle et d'une
tante, M. Rogron, et sa soeur, Mlle Sylvie, merciers retires des affaires,
bourgeois ternes et durs, sottement vaniteux et avares, celibataires
inquiets, mornes et instinctivement haineux.
A peine arrivee, le martyre de l'inoffensive et aimante Pierrette commence.
Il s'y mele de terribles questions d'argent: economies a realiser, mariages
a eviter, ambitions a satisfaire, successions a detourner, etc. Les
voisins, les amis des Rogron, assistent paisiblement au long et lent
supplice de la victime, et leur instinct sourit naturellement au succes des
plus forts. Tout finit par la mort pitoyable de Pierrette, le triomphe des
Rogron, de l'abominable avocat Vinet et de tous ceux qui les aiderent. Plus
rien ne vient troubler le bonheur des bourreaux. Le hasard meme a l'air de
les benir, et Balzac, emporte malgre lui par la realite des choses,
termine, comme a regret, son recit, par cette phrase: "Convenons entre
nous que la legalite serait pour les friponneries sociales une belle chose,
si Dieu n'existait pas."
Il n'est pas necessaire d'aller chercher dans les romans des drames de ce
genre. Ils ont lieu tous les jours dans un grand nombre de demeures. Aussi
n'ai-je emprunte cet exemple a Balzac que parce que l'histoire quotidienne
du triomphe de l'injustice s'y trouvait toute faite. Il n'est rien de plus
moral que de pareils exemples, et peut-etre la plupart des moralistes
ont-ils tort d'en affaiblir le grand enseignement en essayant d'excuser
comme ils peuvent les iniquites du destin. Les uns s'en remettent a Dieu du
soin de recompenser l'innocence. Les autres nous diront que dans cette
aventure ce n'est pas la vict
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