vres des cabanes voisines l'huile des grandes lanternes qui devaient
eclairer l'ocean. Toute ame, dans son milieu, est gardienne d'un phare plus
ou moins necessaire. La mere la plus humble qui se laisse attrister,
absorber, aneantir tout entiere par les plus etroits de ses devoirs de
mere, donne son huile aux pauvres, et ses enfants souffriront toute leur
vie que l'ame de leur mere n'ait pas ete aussi claire qu'elle eut pu
l'etre. La force immaterielle qui luit dans notre coeur doit luire avant
tout pour elle-meme. Ce n'est qu'a ce prix-la qu'elle luira pour les
autres. Si petite que soit votre lampe, ne donnez jamais l'huile qui
l'alimente, mais la flamme qui la couronne.
LXX
Il est certain que l'altruisme demeurera toujours le centre de gravite des
ames nobles, mais les ames faibles se perdent dans les autres, tandis que
les ames fortes s'y retrouvent. Voila la grande difference. Ce qui vaut
mieux qu'aimer son prochain comme soi-meme, c'est de s'aimer soi-meme en
lui. Il y a une bonte qui precede certains etres, il y en a une qui suit
certains autres. Il y a une bonte qui epuise, et une autre bonte qui
nourrit. N'oublions pas que, dans le commerce des ames, ce ne sont point
celles qui croient donner toujours qui sont les genereuses. Une ame forte
prend sans cesse, meme aux plus pauvres, une ame faible donne toujours,
meme aux plus riches; mais il y a une facon de donner qui n'est que de
l'avidite qui a perdu courage, et si un Dieu venait faire le compte,
peut-etre verrions-nous que c'est en prenant que l'on donne et en donnant
que l'on enleve. Il arrive souvent qu'une ame mediocre ne commence a
grandir que du jour ou elle a rencontre une ame qui l'epuise.
LXXI
Pourquoi ne pas s'avouer que le devoir par excellence ce n'est pas de
pleurer avec tous ceux qui pleurent, de souffrir avec tous ceux qui
souffrent et de tendre son coeur a ceux qui passent pour qu'ils le
meurtrissent ou pour qu'ils le caressent? Les pleurs, les souffrances, les
blessures ne nous sont salutaires qu'autant qu'ils ne decouragent pas notre
vie. Ne l'oublions jamais: quelle que soit notre mission sur cette terre,
quel que soit le but de nos efforts et de nos esperances, le resultat de
nos douleurs et de nos joies, nous sommes avant tout les depositaires
aveugles de la vie. Voila l'unique chose absolument certaine, voila le seul
point fixe de la morale humaine. On nous a donne la vie, nous ne savons
pourquoi, mais il semble evi
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