p de plume, quand on les
a si bien corrompus pendant quinze ans.
Aurore a repris son aplomb apres votre depart, et je crois qu'un jour de
plus l'eut apprivoisee. Elle n'est pas bruyante; mais elle est tout de
meme farceuse avec un air serieux. Bonsoir, mon enfant. Je vous embrasse
tendrement.
G. SAND.
[1] Madame Alexandre Dumas.
DCXXVIII
A GUSTAVE FLAUBERT, A CROISSET
Nohant, 8 fevrier 1867.
Bah! zut! troulala! aie donc! aie donc! je ne suis plus malade ou du
moins je ne le suis plus qu'a moitie. L'air du pays me remet, ou la
patience, ou _l'autre_, celui qui veut encore travailler et produire.
Quelle est ma maladie? Rien. Tout en bon etat, mais quelque chose qu'on
appelle anemie, effet sans cause saisissable, degringolade qui, depuis
quelques annees, menace, et qui s'est fait sentir a Palaiseau, apres mon
retour de Croisset. Un amaigrissement trop rapide pour etre logique, le
pouls trop lent, trop faible, l'estomac paresseux ou capricieux, avec
un sentiment d'etouffement et des velleites d'inertie. Il y a eu
impossibilite de garder un verre d'eau dans ce pauvre estomac durant
plusieurs jours, et cela m'a mise si bas, que je me croyais peu
guerissable; mais tout se remet, et meme, depuis hier, je travaille.
Toi, cher, tu te promenes dans la neige, la nuit. Voila qui, pour une
sortie exceptionnelle, est assez fou et pourrait bien te rendre malade
aussi! Ce n'est pas la lune, c'est le soleil que je te conseillais; nous
ne sommes pas des chouettes, que diable! Nous venons d'avoir trois jours
de printemps. Je parie que tu n'as pas monte a mon cher verger, qui est
si joli et que j'aime tant. Ne fut-ce qu'en souvenir de moi, tu devrais
le grimper tous les jours de beau temps a midi. Le travail serait plus
coulant apres et regagnerait le temps perdu et au dela.
Tu es donc dans des ennuis d'argent? Je ne sais plus ce que c'est
depuis que je n'ai plus rien au monde. Je vis de ma journee comme le
proletaire; quand je ne pourrai plus faire ma journee, je serai emballee
pour l'autre monde, et alors je n'aurai plus besoin de rien. Mais il
faut que tu vives, toi. Comment vivre de ta plume si tu te laisses
toujours duper et tondre? Ce n'est pas moi qui t'enseignerai le moyen
de te defendre. Mais n'as-tu pas un ami qui sache agir pour toi? Helas!
oui, le monde va a la diable de ce cote-la; et je parlais de toi,
l'autre jour, a un bien cher ami, en lui montrant l'artiste, celui qui
est devenu si rare, maudis
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