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genereuse avec les disgraces immeritees de la societe ou de la fortune.
Quelle ame feminine resisterait, en imagination au moins, au plaisir de
relever une grande intelligence refoulee dans l'ombre, un coeur vaillant
egare, par les hasards d'un sort contraire, dans les rangs obscurs de la
vie? Mais cet heroisme va-t-il au dela du reve? Une femme nee dans un
rang eleve, entouree de ce luxe et de cet eclat qui sont comme le cadre
naturel des hautes existences sociales, pourra-t-elle, de cette region
ou elle vit, distinguer dans la foule humaine ce noble declasse qu'elle
doit remettre a son vrai niveau? Et si par un hasard miraculeux elle le
decouvre, les circonstances se feront-elles assez les complices de son
desir pour rapprocher ces deux coeurs entre lesquels le monde met des
intervalles plus infranchissables que l'Ocean avec ses abimes, que le
desert avec ses immensites? Je suppose ces obstacles vaincus et les deux
ames mises en contact l'une avec l'autre par une destinee propice, tout
sera-t-il dit pour cela, et ne verra-t-on pas s'elever tout a coup, par
le seul effet d'une connaissance plus longue, des obstacles imprevus et
cette fois invincibles? L'amour survivra-t-il a cette delicate epreuve
de l'intimite familiere? Songez que, de ces deux ames, l'une apporte
cette indelebile habitude de manieres, de langage et de ton, qui est
devenue pour elle une seconde nature plus necessaire que la premiere.
Songez que l'autre vient d'ailleurs et que toute la distinction du coeur
ne rachete pas ces inexperiences de la vie sociale, ces ignorances qui
ne sont sublimes que dans les livres. Il faut au moins que la culture
intellectuelle et des instincts particulierement delicats viennent
combler ces abimes ou l'amour, cruellement desappointe, risquerait fort
de s'engloutir. Sans doute, l'amour ne consulte pas les regles de la
hierarchie sociale; mais il sera difficile d'admettre que ces regles
soient absolument interverties. Et, pour preciser ma pensee, j'accorde a
Mme Sand qu'Edmee puisse aimer Mauprat: il est de sa famille et, apres
quelques annees de soins, ce sera un fort galant homme; ou que la
derniere Aldini laisse son imagination d'abord, son coeur ensuite,
s'eprendre de Lelio: c'est un artiste celebre, un esprit charmant, un
noble coeur; que Valentine enfin pardonne a Benedict quelques rudesses
de manieres: c'est une sorte de genie, inculte seulement a la surface,
plein d'eloquence naturelle et d'idees fortes. Mais je do
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