le que nous
etudions. Quelle litterature en est sortie, c'est ce qui nous reste a
examiner.
Ce pouvait etre une admirable litterature philosophique; et c'est bien
ce que les hommes du temps ont cru avoir. Il n'en est rien, je crois
qu'on le reconnait unanimement a cette heure. Il n'y a point a cela de
raison generale que j'apercoive. La faute n'en est qu'aux personnes. Les
philosophes du XVIIIe siecle ont ete tous et trop orgueilleux et trop
affaires pour etre tres serieux. Ils sont restes tres superficiels,
brillants du reste, assez informes meme, quoique d'une instruction trop
hative et qui procede comme par boutades, penetrants quelquefois,
et ayant, comme Diderot, quelques echappees de genie, mais en somme
beaucoup plutot des polemistes que des philosophes. Leur instinct
batailleur leur a nui extremement; car un grand systeme, ou simplement
une hypothese satisfaisante pour l'esprit (et non seulement les
philosophes modernes, mais Pascal aussi le sait bien, et Malebranche) ne
se construit jamais dans l'esprit d'un penseur qu'a la condition qu'il
envisage avec le meme interet, et presque avec la meme complaisance, sa
pensee et le contraire de sa pensee, jusqu'a ce qu'il trouve quelque
chose qui explique l'un et l'autre, en rende compte, et, sinon les
concilie, du moins les embrasse tous deux. Infiniment personnels, et un
peu legers, les philosophes du XVIIIe siecle ne voient jamais a la fois
que leur idee actuelle a prouver et leur adversaire a confondre, ce
qui est une seule et meme chose; et quand ils se contredisent, ce qui
pourrait etre un commencement de voir les choses sous leurs divers
aspects, c'est, comme Voltaire, d'un volume a l'autre, ce qui est etre
limite dans l'affirmative et dans la negative tour a tour, mais non pas
les voir ensemble.
Aussi sont-ils interessants et decevants, de peu de largeur, de peu
d'haleine, de peu de course, et surtout de peu d'essor. Deux siecles
passes, ils ne compteront plus pour rien, je crois, dans l'histoire de
la philosophie.
Il etait difficile, a moins d'un grand et beau hasard, c'est-a-dire de
l'apparition d'un grand genie, chose dont on n'a jamais su ce qui la
produit, que ce siecle fut un grand siecle poetique. Il ne fut pour cela
ni assez novateur, ni assez traditionnel.
Il pouvait, avec du genie, continuer l'oeuvre du XVIIe siecle, en
remontant a la source ou le XVIIe siecle avait puise et qui etait loin
d'etre tarie; il pouvait continuer de se penetrer de l
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