n et la religion du
sentiment.
C'etaient deux formes de cet _individualisme_ qui lui etait si cher.
Autorite, tradition, conscience collective et continue de l'humanite
sont sources d'erreur. Que reste-t-il? Que l'homme, isolement, se
consulte lui-meme; "_que chacun, dans sa loi, cherche en paix la
lumiere_"; que chacun interroge l'oracle personnel, l'etre spirituel
qui parle en lui.--Mais lequel? Car il en a deux: l'un qui compare,
combine, coordonne, conclut, obeit a une sorte de necessite a
laquelle il se rend et qu'il appelle l'evidence, et celui-ci c'est la
raison;--l'autre, plus prompt en ses demarches, qui fremit, s'echauffe,
a des transports, crie et pleure, obeit a une sorte de necessite qu'il
appelle l'emotion; et celui-ci c'est le sentiment. Auquel croire? Le
XVIIIe siecle a repondu: a tous les deux. Il s'est partage: les tendres
ont ete pour le sentiment, les intellectuels pour la raison. Les hommes
ont ete plutot de la religion de la raison, les femmes de la religion du
sentiment. Rationalisme et sensibilite ont regne parallelement vers
la lin de cet age, se reconnaissant bien pour freres, en ce qu'ils
derivaient de la meme source qui n'est autre qu'orgueil personnel et
grande estime de soi, mais freres ennemis, qui se defiaient fort l'un de
l'autre en s'apercevant qu'ils menaient aux conclusions, aux regles de
conduite, aux morales les plus differentes; et aussi, dans les esprits
communs et peu capables de discernement, dans la foule, freres ennemis
vivant cote a cote, prenant tour a tour la parole, melant leurs voix
en des phrases obscures autant que solennelles; dieux invoques en meme
temps d'une meme foi indiscrete et d'un meme enthousiasme confus.
N'importe, c'etaient des enthousiasmes, des cultes, des elevations, des
manieres de religions en un mot; car tout sentiment desinteresse a deja
un caractere religieux. De l'instrument meme dont il s'etait servi pour
detruire la religion traditionnelle, le XVIIIe siecle avait fini par
faire une religion nouvelle, et la pensee humaine avait parcouru le
cercle qu'elle parcourt toujours.--De meme le sentiment, la passion,
severement refoules, et tenus en suspicion comme dangereux par la
religion traditionnelle, apres avoir proteste contre elle et reclame
leurs droits (avec Vauvenargues, par exemple) de protestataires, puis
d'insurges, etaient devenus dogmes eux-memes et religions, et le cercle,
de ce cote-la aussi, etait parcouru.
Entre ces deux divinites n
|