se est tres content; tout cet
encens lui monte au cerveau avec les fumees du vin de Limoux. Seulement,
et ceci le degrise un peu, il croit entendre l'abbe Germane murmurer:
"L'imbecile!" et les clefs de son rival grincer ferocement.
Ce premier enthousiasme apaise, M. le principal frappe dans ses mains
pour reclamer le silence.
"Maintenant, Viot, a votre tour! apres la Muse badine, la Muse severe."
M. Viot tire gravement de sa poche un cahier relie, gros de promesses,
et commence sa lecture en jetant sur le petit Chose un regard de cote.
L'oeuvre de M. Viot est une idylle, une idylle toute virgilienne
en l'honneur du reglement. L'eleve Menalque et l'eleve Dorilas s'y
repondent en strophes alternees... L'eleve Menalque est d'un college
ou fleurit le reglement; l'eleve Dorilas, d'un autre college d'ou le
reglement est exile... Menalque dit les plaisirs austeres d'une forte
discipline; Dorilas, les joies infecondes d'une folle liberte.
A la fin, Dorilas est terrasse. Il remet entre les mains de son
vainqueur le prix de la lutte, et tous deux, unissant leurs voix,
entonnent un chant d'allegresse a la gloire du reglement.
Le poeme est fini... Silence de mort!... Pendant la lecture, les enfants
ont emporte leurs assiettes a l'autre bout de la prairie, et mangent
leurs pates, tranquilles, loin, bien loin, de l'eleve Menalque et
Dorilas. M. Viot les regarde de sa place avec un sourire amer... Les
professeurs ont tenu bon, mais pas un n'a le courage d'applaudir...
Infortune M. Viot! C'est une vraie deroute.. Le principal essaie de le
consoler: "Le sujet etait aride, messieurs, mais le poete s'en est bien
tire."
"Moi, je trouve cela tres beau", dit effrontement le petit Chose, a qui
son triomphe commence a faire peur.
Lachetes perdues! M. Viot ne veut pas etre console. Il s'incline sans
repondre et garde son sourire amer... Il le garde tout le jour, et le
soir, en rentrant, au milieu des chants des eleves, des couacs de la
musique et du fracas des tapissieres roulant sur les paves de la ville
endormie, le petit Chose entend dans l'ombre, pres de lui, les clefs de
son rival qui grondent d'un air mechant: "Frinc! frinc! frinc! monsieur
le poete, nous vous revaudrons cela!"
IX
L'AFFAIRE BOUCOYRAN
Avec la Saint-Theophile, voila les vacances enterrees.
Les jours qui suivirent furent tristes; un vrai lendemain de mardi gras.
Personne ne se sentait en train, ni les maitres, ni les eleves. On
s'installait...
|