r les livres. On aurait entendu voler
une mouche. M. Viot se promenait un moment de long en large, agitant son
trousseau de ferraille, au milieu du grand silence; puis il me regardait
ironiquement et se retirait sans rien dire.
J'etais tres malheureux. Les maitres, mes collegues, se moquaient de
moi. Le principal, quand je le rencontrais, me faisait mauvais accueil;
il y avait sans doute du M. Viot la-dessous... Pour m'achever, survint
Boucoyran.
Oh! cette affaire Boucoyran! Je suis sur qu'elle est restee dans
les annales du college et que les Sarlandais en parlent encore
aujourd'hui... Moi aussi, je veux en parler de cette terrible affaire.
Il est temps que le public sache la verite...
Quinze ans, de gros pieds, de gros yeux, de grosses mains, pas de front,
et l'allure d'un valet de ferme: tel etait le marquis de Boucoyran,
terreur de la cour des moyens et seul echantillon de la noblesse
cevenole au college de Sarlande. Le principal tenait beaucoup a cet
eleve, en consideration du vernis aristocratique que sa presence donnait
a l'etablissement. Dans le college, on ne l'appelait que le "marquis".
Tout le monde le craignait; moi-meme je subissais l'influence generale
et je ne lui parlais qu'avec des menagements.
Pendant quelque temps, nous vecumes en assez bons termes.
M. le marquis avait bien par-ci par-la certaines facons impertinentes de
me regarder ou de me repondre qui rappelaient par trop l'Ancien Regime,
mais j'affectais de n'y point prendre garde, sentant que j'avais affaire
a forte partie.
Un jour cependant, ce faquin de marquis se permit de repliquer, en
pleine etude, avec une insolence telle que je perdis toute patience.
"Monsieur de Boucoyran, lui dis-je en essayant de garder mon sang-froid,
prenez vos livres et sortez sur-le-champ."
C'etait un acte d'autorite inoui pour ce drole. Il en resta stupefait et
me regarda, sans bouger de sa place, avec des gros yeux.
Je compris que je m'engageais dans une mechante affaire, mais j'etais
trop avance pour reculer.
"Sortez, monsieur de Boucoyran!..." commandai-je de nouveau.
Les eleves attendaient, anxieux... Pour la premiere fois, j'avais du
silence.
A ma seconde injonction, le marquis, revenu de sa surprise, me repondit,
il fallait voir de quel air: "Je ne sortirai pas!"
Il y eut parmi toute l'etude, un murmure d'admiration. Je me levai dans
ma chaire, indigne.
"Vous ne sortirez pas, monsieur?... C'est ce que nous allons voir."
Et je
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