me disais que, si on le
supprimait, il n'aurait vraiment que ce qu'il merite.
--Ca, c'est bien vrai.
--Pour moi, rien ne m'aurait ete plus facile, a un certain moment.
Comme il a mal aux dents, il me montra sa machoire: je n'avais qu'a
l'etrangler; nous etions seuls: un miserable diabetique comme lui qui,
j'en suis sur, n'a pas six mois a vivre, n'aurait pas resiste a une
poigne comme celle-ci. Je retirais de son gilet ses clefs, j'ouvrais sa
caisse, j'y prenais les trente, quarante, soixante mille francs que j'y
ai vus entasses: du diable si la justice aurait, jamais rien decouvert:
un medecin n'etrangle pas ses clients, il les empoisonne, il les tue
scientifiquement, non brutalement.
--Voila le malheur, c'est que ces moyens d'arranger les choses ne sont a
la portee que des gens qui n'ont par de conscience, et qu'ils n'existent
pas pour nous.
--Je t'assure bien que ce n'est pas la conscience qui m'aurait retenu.
--La peur du remords, si je me sers d'un mauvais mot.
--Mais les gens intelligents n'ont pas de remords, ma chere enfant,
attendu que chez eux le raisonnement precede le fait et ne le suit pas:
avant d'agir, ils pesent le pour et le contre, et savent quelles seront
les consequences de leurs actions pour les autres aussi bien que pour
eux; si cet examen prealable leur prouve que pour une raison quelconque
ils peuvent agir, ils seront a jamais tranquilles, assures de n'etre pas
exposes aux remords, qui ne sont que les reproches de la conscience.
--Sans doute, ce que tu dis la est juste, et pourtant il m'est
impossible de l'accepter. Si je n'ai pas commis de crimes dans ma vie,
j'ai fait cependant des sottises, meme des fautes, et pour quelques-unes
ca ete deliberement, apres cet examen prealable dont tu parles: j'aurais
donc du etre parfaitement tranquille et a l'abri des reproches de ma
conscience; cependant, le lendemain matin, je m'eveillais malheureuse,
tourmentee, bouleversee quelquefois, sans pouvoir etouffer la voix
mysterieuse qui m'accusait.
--Et au nom de qui parlait-elle, cette voix plus vague encore que
mysterieuse?
--Au nom de ma conscience, evidemment.
--"Evidemment" est de trop, et tu serais bien embarrassee de me
demontrer cette evidence, attendu que rien n'est plus incertain et
insaisissable que ce qu'on est convenu d'appeler la conscience, qui
n'est en realite qu'une affaire de milieu et d'education.
--Je ne comprends pas.
--Ta conscience te fait-elle un crime de m'ai
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