es a bonne fin sans que personne put les
deranger.
C'etait en effet sa force que cette puissance de travail qui jamais ne
s'etait laisse distraire ou ecraser par rien, le plaisir pas plus que la
souffrance, les preoccupations pas plus que la misere et ses privations:
dans la rue, il pouvait penser a Philis, avoir faim, sentir le poids du
sommeil; a son bureau, il n'y avait plus pour lui ni Philis, ni faim, ni
sommeil, ni souci, ni souvenirs, il y avait son travail qui le prenait
tout entier.
C'etait sa force et aussi sa fierte, la seule superiorite dont il se
vantat; car, bien qu'il s'en reconnut d'autres, de celles-la il ne
parlait jamais, tandis qu'il disait volontiers a ses camarades:
--Moi, je travaille quand je veux et tant que je veux; ma volonte
appliquee au travail n'a jamais eu de defaillances; ce qu'on raconte
d'Alexandre le Grand qui, pour rester eveille la nuit, tenait dans sa
main une boule de metal au-dessus d'un bassin d'airain, prouve tout
simplement que le Macedonien etait un mollasse.
Ce soir-la, il en fut pendant une heure a peu pres comme il en etait
toujours: ni les huissiers, ni Jardine, ni Caffie ne le troublerent;
cependant, ayant eu une recherche a faire, il constata que sa memoire ne
lui obeissait point comme a l'ordinaire: elle hesitait, s'embrouillait,
surtout elle avait des distractions reellement etonnantes; il la
violenta et elle obeit, mais ce fut pour peu de temps: bientot elle le
trahit une seconde fois, puis une troisieme, une quatrieme.
Decidement il n'etait pas dans un etat normal et sa volonte obeissait au
lieu de commander.
Il y avait un nom et une phrase qu'il se repetait de temps en temps
machinalement; ce nom etait celui de Caffie; cette phrase, c'etait:
"Rien de plus facile".
Pourquoi cette hypothese d'etrangler Caffie, dont il n'avait parle qu'en
l'air et sans y attacher nulle importance au moment ou il l'avait emise,
lui revenait-elle ainsi comme une sorte d'obsession.
N'etait-ce pas bizarre?
Jamais, jusqu'a ce jour, il n'avait eu l'idee qu'il pouvait etrangler
un homme, si coquin que fut cet homme, et voila qu'en causant il avait
trouve des raisons qui rendaient toute naturelle et meme legitime la
mort de ce coquin.
Philis, elle-meme, ne l'avait-elle pas condamne?
A la verite, elle avait ajoute que la Providence ou la Justice devait
proceder a l'execution, mais c'etait le scrupule d'une conscience naive
qui s'etait formee dans un milieu dont lui ne s
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