'y aurait guere moyen de faire de la
peinture sans soleil, et il faut que ce pays-ci soit bien beau puisqu'il
l'est encore a travers son manteau de brouillards. Brumieres, qui
voulait que je l'attendisse pour venir ici, m'annoncait bien que je
n'y trouverais pas encore le moindre effet pittoresque; mais je suis
peut-etre moins peintre que contemplatif, et, quand je ne peux pas
essayer d'etre un interprete quelconque de la nature, je n'en reste pas
moins son amant fidele et ravi.
Figurez-vous que, sans sortir de mon jardin, j'ai la campagne, le
verger, la solitude et le desert. Le parterre qui s'etend devant la
maison n'annonce guere ce luxe: c'est un carre de legumes et de vigne,
enferme dans des haies de buis taille. En aout, la vue est terminee par
une grande fontaine murale en hemicycle avec les niches et les bustes
classiques. L'eau est limpide, les plantes grimpantes abondent, et, sur
la terrasse dont cette architecture est le contre-fort, de beaux arbres
inclinent leurs branches touffues. Mais la n'est pas le charme de cet
enclos dont l'ancienne splendeur a fait place, d'une part a l'abandon,
de l'autre aux soins vulgaires de l'utilite domestique. Une belle allee
d'arbres centenaires s'en va en montant rapidement vers des terres
ensemencees et plantees d'oliviers. Heureusement, on a laisse subsister
ces arbres, et on n'a pu songer a niveler le terrain, de sorte que
l'ancien parc des Piccolomini, sacrifie au prosaisme de l'exploitation,
a garde ses chenes verts courbes en berceaux impenetrables au soleil et
a la pluie, ses asperites de montagne et son clair ruisselet qui court
en bouillonnant sous des masses de fleurs sauvages. Il y a meme un coin,
tout a fait inculte, qui forme ravin et qui se compose tout aussi bien
qu'un grand paysage. Le ruisseau qui sort d'une belle source dans
la villa voisine, nous arrive de la hauteur et forme une cascatelle
charmante qui, de son amphitheatre de rochers et de verdure, arrose
une petite prairie tout a fait naturelle, traverse l'enclos et s'en va
rejouir une troisieme villa contigue a celle-ci. On voit qu'ici l'on
ne s'est pas dispute l'eau courante. Bien au contraire, on se l'est
liberalement distribuee, et, comme elle abonde partout, ceux qui ont
bien voulu lui permettre de rire et de sauter a travers leurs jardins
ont rendu a leurs voisins un veritable service.
Les collines Tusculanes ne sont, d'ici a leur point le plus eleve (
Tusculum), qu'un immense jardin partage en
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