disait de lui:
--C'est un vrai gredin, capable de vous arracher, par prieres ou par
intrigue, votre dernier ecu; mais c'est un valet fidele, incapable de
vous derober une epingle si vous n'avez pas l'air de vous mefier de
lui. En Italie, beaucoup de gens de cette classe sont ainsi faits: ils
pillent ceux qu'ils detestent; ils se font un plaisir de devaliser ceux
qui veulent lutter de finesse pour se garantir; mais ils voleraient
volontiers, pour enrichir ceux qui, par leur confiance absolue,
obtiennent leur amitie. Ayez des serrures Fichet a vos coffres; cachez
votre bourse dans les trous de mur les plus invraisemblables: ils
dejoueront toutes vos ruses. Laissez la clef a la porte et l'argent sur
la table, ce sera chose sacree pour eux. Ce vaurien a donc du bon comme
tons les vauriens... de meme que tous les gens vertueux ont un coin de
perversite.
C'est toujours lord B*** qui parle, et je vous fais grace des blaspheme,
de sa misanthropie. Tant il y a que le Tartaglia me fatiguait, et
qu'apres avoir bien paye, malgre lui, je dois le dire, ses bons
services, je suis charme d'etre delivre de son babil, de sa protection
et de ses suggestions matrimoniales.
Voici enfin un peu d'eclaircie dans le temps, et j'en vais profiter pour
visiter les jardins Piccolomini et faire le tour de mes domaines.
XVII
3 avril, a Frascati.
Depuis deux jours, bien que le soleil ne se montre pas plus qu'a
Londres, je me goberge de la douceur du temps. Les soirees sont froides
dans l'interieur de Piccolomini; ma cheminee se garderait bien de ne pas
fumer; et d'ailleurs, le bois manque; mais quelqu'un qui me choie m'a
apporte un _brasero_[3], et cela me permet de me rechauffer les doigts
pour vous ecrire. Le reste du temps, je suis dehors jusqu'a l'heure de
dormir, et je m'en trouve fort bien.
[Note 3: Brasero et le mot espagnol, apparemment familier a Jean
Yalreg.]
Ce _quelqu'un_ vous intrigue un peu, j'espere? Patience! je vous
raconterai. Il faut que je vous dise d'abord que je suis au beau milieu
d'un paradis terrestre, moyennant quelque chose comme trois francs par
jour, toutes depenses comprises, ce qui me permettra de passer ici
plusieurs mois sans me preoccuper de ma pauvrete.
J'ignore ce que deviendra le climat. On m'annonce des chaleurs qui me
feront revenir de mes doutes sur le beau ciel de l'Italie. Dans l'etat
de faiblesse ou je suis encore, le temps doux et voile que nous tenons
m'est fort agreable; mais il n
|