n'a jamais su
qu'il eut pu me la faire.
--Encore un amour pur?
--Un amour est toujours pur quand il est sincere, et, puisque lady
Harriet ne veut pas entendre parler de son mari, bien qu'elle en soit
jalouse pour le _qu'en dira-t-on_, j'aurais pu etre honnetement sa
rivale en secret et sans troubler le menage; mais cela ne fut pas, parce
que... un jour, a Paris, je vis milord ivre. Cela ne lui arrive pas
souvent: c'est quand il a un surcroit de chagrin. J'eus a le soigner
pour que sa femme ne s'apercut de rien. Je le trouvai si laid dans le
vin, si vieux avec sa figure pale et son front sans perruque, si drole
enfin dans son malheur, qu'il ne me fut plus possible de le prendre au
serieux. C'est un homme excellent que j'aimerai toujours, le seul que
je regrette dans la famille; mais, si on me l'offrait pour pere ou pour
mari, je le choisirais pour pere.
--Allons! et de deux avec qui vous avez eu la bonne chance de vous
desillusionner a temps; mais le troisieme?
--Le troisieme? C'est vous.
Cette parole aimable meritait encore un baiser.
--Attendez! dit-elle apres me l'avoir laisse prendre. Puisque vous etes
un homme sincere, je dois tout vous dire. Je vous ai aime a la folie,
mais cela a beaucoup diminue, et, a present, je pourrais m'en guerir
comme je me suis guerie des autres.
--Dites-moi ce qu'il faudrait faire pour cela, afin que je ne le fasse
pas.
--Il faudrait essayer de me tromper, et, comme vous n'en viendriez pas a
bout..., je me degouterais de vous tout de suite.
--Qu'appelez-vous donc tromper?
--Aimer la Medora et vouloir me faire croire le contraire
--Sur l'honneur, je ne l'aime pas! A present, m'aimez-vous?
--Oui, dit-elle avec resolution, mais en s'echappant de
mes bras. Cependant, ecoutez ce que je veux vous dire encore.
--Je le sais, lui dis-je avec humeur; vous voulez que je vous epouse?
--Non! je ne veux pas me marier sans avoir eprouve la constance de mon
amant et la mienne pendant plusieurs annees; et, comme a cet egard vous
ne me promettez rien, comme je ne veux rien vous promettre non plus, je
ne songe pas avec vous au mariage.
--Alors, qui vous fait hesiter?
--C'est que vous ne m'avez pas encore dit que vous m'aimez.
--D'apres votre definition de l'amour, qui est d'etre l'un a l'autre,
nous ne pouvons pas encore nous aimer l'un l'autre.
--Oh! attendez, _signor mio!_ s'ecria-t-elle en m'enveloppant de son
regard limpide, comme d'un flot de volupte, mais en me
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