s se rendre un compte exact de la valeur de son
argument, le Chico avait dit la seule chose peut-etre capable de
l'arreter sur la pente fatale ou elle s'engageait: "Qu'esperes-tu?"
Sans le savoir, sans le vouloir, c'etait un coup de maitre que faisait
le nain en posant cette question. Sans le savoir, il venait de
l'echapper belle, car ses paroles, apres son depart, Juana les tourna et
les retourna sans treve dans son esprit.
Elle etait la fille d'un modeste hotelier, un hotelier qui passait pour
etre assez riche, mais un hotelier quand meme. Et, ceci, c'etait une
tare terrible a une epoque et dans un pays ou tout ce qui n'etait pas
"ne" n'existait pas. Que pouvait-elle esperer? Rien, assurement. Jamais
ce seigneur ne consentirait a la prendre pour epouse legitime. Quant au
reste, elle etait trop fiere, elle avait ete elevee trop au-dessus de sa
condition pour que l'idee d'une bassesse put l'effleurer.
Le resultat de ses reflexions avait ete que son amour pour Pardaillan
s'etait considerablement attenue. Or, le terrain que perdait le
chevalier, le Chico le regagnait sans qu'elle s'en doutat elle-meme.
Et c'est a ce moment-la que Pardaillan revenait. Certes elle fut
heureuse de le voir sain et sauf. Mais le Chico baissa a ses yeux et
reperdit une notable partie du terrain acquis. Juana lui en voulait de
s'etre efface et sacrifie. Elle se disait que, elle, elle ne se serait
pas sacrifiee et aurait defendu son bien du bec et des ongles. De la
l'accueil frigide qu'elle fit au nain.
Or, Pardaillan raconta que le nain s'etait defendu comme un beau diable
et avait voulu le poignarder, lui, Pardaillan. Du coup, les actions du
Chico monterent! Pourquoi rever de chimeres? Le bonheur etait peut-etre
la. Ne serait-ce pas folie de le laisser passer? De la le revirement
en faveur du nain. De la ce tete-a-tete. Il fallait que le Chico se
declarat. Et voila qu'elle se heurtait a sa timidite insurmontable.
Elle enrageait d'autant plus que, malgre elle, tout en s'efforcant
de l'amener a composition, elle ne pouvait s'empecher de songer a
Pardaillan, et il lui semblait que lui n'eut pas tant tergiverse.
Donc, le Chico, au lieu de s'indigner devant son impudente denegation,
apres etre reste un long moment perplexe et silencieux, courba l'echine,
accepta la rebuffade et parut s'excuser en disant doucement:
--J'ai fait ce que tu m'as demande, et Dieu sait s'il m'en a coute!
Pourquoi es-tu fachee?
Ainsi, voila tout ce qu'il tro
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