semblables, leur eviter, du moins, mon sort affreux.
--En sorte que vous leur imposez toute une vie de souffrance et de
malheur pour leur assurer quoi? Un moment d'illusion qui durera l'espace
d'un soupir.
--Allons, fit Espinosa, sans manifester aucun depit, je n'ai pas reussi
a vous convaincre. Mais, si j'ai echoue dans des generalites, peut-etre
serais-je plus heureux dans un cas particulier que je veux vous
soumettre.
--Dites toujours, fit Pardaillan sur la defensive.
--Vous, monsieur, dit Espinosa sans la moindre ironie, vous qui etes
un preux, toujours pret a tirer l'epee pour le faible contre le fort,
refuserez-vous de preter l'appui de votre epee a une cause juste?
--Cela depend, monsieur, fit le chevalier, imperturbable. Ce qui vous
apparait comme noble et juste peut m'apparaitre, a moi, comme bas et
vil.
--Monsieur, fit Espinosa en le regardant en face, laisseriez-vous
accomplir un assassinat sous vos yeux sans essayer d'intervenir en
faveur de la victime?
--Non pas, certes!
--Eh bien, monsieur, dit nettement Espinosa, il s'agit d'empecher un
assassinat.
--Qui veut-on assassiner?
--Le roi Philippe.
--Diantre! monsieur, fit Pardaillan, qui reprit son sourire gouailleur,
il me semble pourtant que Sa Majeste est de taille a se defendre!
--Oui, dans un cas normal. Non, dans ce cas tout particulier. Un homme,
un ambitieux, a jure de tuer le roi. Il a murement et longuement prepare
son forfait. A cette heure, il est pret a frapper, et nous ne pouvons
rien contre ce miserable, parce qu'il a eu la diabolique adresse de se
faire adorer de toute l'Andalousie, et que porter la main sur lui serait
provoquer un soulevement irresistible. Parce que, pour l'atteindre et
sauver le roi, il faudrait frapper les milliers de poitrines qui se
dresseront entre cet homme et nous. Le roi n'est pas l'etre sanguinaire
que vous croyez, et, plutot que de frapper une multitude d'innocents
egares par les machinations de cet ambitieux, il prefere s'abandonner
aux mains de Dieu. Mais, nous, monsieur, qui avons pour devoir sacre de
veiller sur les jours de Sa Majeste, nous cherchons un moyen d'arreter
la main criminelle avant l'accomplissement de son forfait, sans
dechainer la fureur populaire. Et c'est pourquoi je vous demande si vous
consentez a empecher ce crime monstrueux.
--Il est de fait, dit Pardaillan, qui cherchait a discerner la verite
dans l'accent du grand inquisiteur, que, bien que le roi ne me soit
g
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