le neant. Qu'on y
songe bien, la matiere ou l'essence qui ne serait pas determinable ne
contiendrait plus rien de l'etre, et ne serait que le neant sous un faux
nom.
C'est ainsi qu'Abelard passe en revue les divers degres de la categorie
de l'essence (substance), et dresse ce qu'on pourrait appeler l'echelle
de l'etre. Il serait possible de faire un travail analogue sur les
autres categories, quoique la les conditions de l'etre ne soient pas
aussi reelles, et qu'il ne s'y agisse que des etres improprement dits,
la qualite, la relation, etc., ne pouvant exister separees d'un sujet.
Mais, comme le veut Abelard, "que ce qui a ete dit de la substance soit
entendu des autres predicaments[71]."
[Note 71: _De Gen. et Spec_., p. 502.--Il est impossible de ne pas faire
remarquer combien cette deduction de l'etre dans ses diverses phases
dialectiques ressemble a l'evolution ontologique de l'etre partant du
neant, dans la logique d'Hegel, pour s'elever par _le devenir_ a toutes
les formes de la realite et de la pensee. (Hegel, Oeuv. compl. en all.,
t. III; _Science de la Logique_, p. 71. Berlin, 1833.)]
On remarquera que dans cette analyse des graduations de la substance,
le mot matiere ne doit pas etre compris dans le sens de l'oppose de
l'esprit, mais comme le nom du fonds de l'etre, puisque dans le langage
d'Abelard, conforme en cela a celui d'Aristote, on pourrait dire que la
substance est indifferemment la matiere de l'esprit et la matiere du
corps, ou qu'elle est la matiere, le non-different qui peut recevoir
la forme de la corporeite ou la forme de l'incorporeite; mais ceci n'a
d'importance que s'il faut prendre toute cette decomposition d'idees
comme un denombrement methodique de realites, et non comme une analyse
de la pensee. Si nous avons fait plus que definir des mots, si nous
avons decrit des choses, alors, sans doute, le genre substance serait
un seul et meme etre reel, identique en soi sous des formes contraires,
comme l'incorporeite et la corporeite, et il n'y aurait plus dans
le fonds de l'etre de difference substantielle entre la matiere et
l'esprit. C'est, pour le dire en passant, une objection, tout au moins
une difficulte contre le realisme, et qu'on pourrait traduire d'une
maniere qui la rendrait plus saillante. Par exemple, la substance,
etant reellement la pure essence avec la susceptibilite des contraires,
pourrait etre indifferemment creee ou creatrice, finie ou infinie; or
ce sont la certainement
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