percut un jour, chez la duchesse de
Mortemain, une jeune femme en grand deuil, sortant alors qu'il
entrait, et dont la rencontre sous uns porte l'eblouit d'une jolie
vision de grace et d'elegance.
Ayant demande son nom, il apprit qu'elle s'appelait la comtesse de
Guilleroy, femme d'un hobereau normand, agronome et depute, qu'elle
portait le deuil du pere de son mari, qu'elle etait spirituelle, tres
admiree et recherchee. Il dit aussitot, encore emu de cette apparition
qui avait seduit son oeil d'artiste:
--Ah! en voila une dont je ferais volontiers le portrait.
Le mot des le lendemain fut repete a la jeune femme, et il recut, le
soir meme, un petit billet teinte de bleu, tres vaguement parfume,
d'une ecriture reguliere et fine, montant un peu de gauche a droite,
et qui disait:
"Monsieur,
"La duchesse de Mortemain sort de chez moi et m'assure que vous seriez
dispose a faire, avec ma pauvre figure, un de vos chefs-d'oeuvre. Je
vous la confierais bien volontiers si j'etais certaine que vous n'avez
point dit une parole en l'air et que vous voyez en moi quelque chose
qui puisse etre reproduit et idealise par vous.
"Croyez, Monsieur, a mes sentiments tres distingues.
"Anne DE GUILLEROY."
Il repondit en demandant quand il pourrait se presenter chez la
comtesse, et il fut tres simplement invite a dejeuner le lundi
suivant.
C'etait au premier etage, boulevard Malesherbes, dans une grande et
luxueuse maison moderne. Ayant traverse un vaste salon tendu de soie
bleue a encadrements de bois, blancs et or, on fit entrer le peintre
dans une sorte de boudoir a tapisseries du siecle dernier, claires
et coquettes, ces tapisseries a la Watteau, aux nuances tendres, aux
sujets gracieux, qui semblent faites, dessinees et executees par des
ouvriers revassant d'amour.
Il venait de s'asseoir quand la comtesse parut. Elle marchait si
legerement qu'il ne l'avait point entendue traverser l'appartement
voisin, et il fut surpris en l'apercevant. Elle lui tendit la main
d'une facon familiere.
--Alors, c'est vrai, dit-elle, que vous voulez bien faire mon
portrait.
--J'en serai tres heureux, Madame.
Sa robe noire, etroite, la faisait tres mince, lui donnait l'air tout
jeune, un air grave pourtant que dementait sa tete souriante, toute
eclairee par ses cheveux blonds. Le comte entra, tenant par la main
une petite fille de six ans.
Mme de Guilleroy presenta:
--Mon mari.
C'etait un homme de petite taille, sans mous
|