ntendre et s'en convaincre:
"Voila, je suis une femme perdue." Aucun echo de souffrance ne
repondit dans sa chair a cette plainte de sa conscience.
Elle se laissa bercer quelque temps par le mouvement du fiacre,
remettant a tout a l'heure les raisonnements qu'elle aurait a faire
sur cette situation cruelle. Non, elle ne souffrait pas. Elle avait
peur de penser, voila tout, peur de savoir, de comprendre et de
reflechir; mais, au contraire, il lui semblait sentir dans l'etre
obscur et impenetrable que cree en nous la lutte incessante de nos
penchants et de nos volontes, une invraisemblable quietude.
Apres une demi-heure, peut-etre, de cet etrange repos, comprenant
enfin que le desespoir appele ne viendrait pas, elle secoua cette
torpeur et murmura: "C'est drole, je n'ai presque pas de chagrin."
Alors elle commenca a se faire des reproches. Une colere s'elevait en
elle, contre son aveuglement et sa faiblesse. Comment n'avait-elle pas
prevu cela? compris que l'heure de cette lutte devait venir? que cet
homme lui plaisait assez pour la rendre lache? et que dans les coeurs
les plus droits le desir souffle parfois comme un coup de vent qui
emporte la volonte.
Mais quand elle se fut durement reprimandee et meprisee, elle se
demanda avec terreur ce qui allait arriver.
Son premier projet fut de rompre avec le peintre et de ne le plus
jamais revoir.
A peine eut-elle pris cette resolution que mille raisons vinrent
aussitot la combattre.
Comment expliquerait-elle cette brouille? Que dirait-elle a son mari?
La verite soupconnee ne serait-elle pas chuchotee, puis repandue
partout?
Ne valait-il pas mieux, pour sauver les apparences, jouer vis-a-vis
d'Olivier Bertin lui-meme l'hypocrite comedie de l'indifference et
de l'oubli, et lui montrer qu'elle avait efface cette minute de sa
memoire et de sa vie?
Mais le pourrait-elle? aurait-elle l'audace de paraitre ne se rappeler
rien, de regarder avec un etonnement indigne en lui disant: "Que me
voulez-vous?" l'homme dont vraiment elle avait partage la rapide et
brutale emotion?
Elle reflechit longtemps et s'y decida neanmoins, aucune autre
solution ne lui paraissant possible.
Elle irait chez lui le lendemain, avec courage, et lui ferait
comprendre aussitot ce qu'elle voulait, ce qu'elle exigeait de lui.
Il fallait que jamais un mot, une allusion, un regard, ne put lui
rappeler cette honte.
Apres avoir souffert, car il souffrirait aussi, il en prendrait
assurement
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