ujours un peu banal.
Et le peintre insista, indiquant a quel moment une figure, perdant peu
a peu la grace indecise de la jeunesse, prend sa forme definitive, son
caractere, sa physionomie.
Et, a chaque parole, la comtesse faisait "oui" d'un petit balancement
de tete convaincu; et plus il affirmait, avec une chaleur d'avocat qui
plaide, avec une animation de suspect qui soutient sa cause, plus elle
l'approuvait du regard et du geste, comme s'ils se fussent allies pour
se soutenir contre un danger, pour se defendre contre une opinion
menacante et fausse. Annette ne les ecoutait guere, tout occupee a
regarder. Sa figure souvent rieuse etait devenue grave, et elle ne
disait plus rien, etourdie de joie dans ce mouvement. Ce soleil, ces
feuilles, ces voitures, cette belle vie riche et gaie, tout cela
c'etait pour elle.
Tous les jours, elle pourrait venir ainsi, connue a son tour, saluee,
enviee; et des hommes, en la montrant, diraient peut-etre qu'elle
etait belle. Elle cherchait ceux et celles qui lui paraissaient les
plus elegants, et demandait toujours leurs noms, sans s'occuper
d'autre chose que de ces syllabes assemblees qui, parfois, eveillaient
en elle un echo de respect et d'admiration, quand elle les avait lues
souvent dans les journaux ou dans l'histoire. Elle ne s'accoutumait
pas a ce defile de celebrites, et ne pouvait meme croire tout a
fait qu'elles fussent vraies, comme si elle eut assiste a quelque
representation. Les fiacres lui inspiraient un mepris mele de degout,
la genaient et l'irritaient, et elle dit soudain:
--Je trouve qu'on ne devrait laisser venir ici que les voitures de
maitre.
Bertin repondit:
--Eh bien, Mademoiselle, que fait-on de l'egalite, de la liberte et de
la fraternite?
Elle eut une moue qui signifiait "a d'autres" et reprit:
--Il y aurait un bois pour les fiacres, celui de Vincennes, par
exemple.
--Tu retardes, petite, et tu ne sais pas encore que nous nageons en
pleine democratie. D'ailleurs, si tu veux voir le bois pur de tout
melange, viens le matin, tu n'y trouveras que la fleur, la fine fleur
de la societe.
Et il fit un tableau, un de ceux qu'il peignait si bien, du bois
matinal avec ses cavaliers et ses amazones, de ce club des plus
choisis ou tout le monde se connait par ses noms, petits noms,
parentes, titres, qualites et vices, comme si tous vivaient dans le
meme quartier ou dans la meme petite ville.
--Y venez-vous souvent? dit-elle.
--Tres souvent
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