iage brillant, ou l'inclination
n'entrait pour rien, apres avoir ensuite accepte l'amour comme le
complement d'une existence heureuse, apres avoir pris son parti d'une
liaison coupable, beaucoup par entrainement, un peu par religion pour
le sentiment lui-meme, par compensation au train-train vulgaire de
l'existence, s'etait cantonne, barricade dans ce bonheur que le
hasard lui avait fait, sans autre desir que de le defendre contre
les surprises de chaque jour. Elle avait donc accepte avec une
bienveillance de jolie femme les evenements agreables qui se
presentaient, et, peu aventureuse, peu harcelee par des besoins
nouveaux et des demangeaisons d'inconnu, mais tendre, tenace et
prevoyante, contente du present, inquiete, par nature, du lendemain,
elle avait su jouir des elements que lui fournissait le Destin avec
une prudence econome et sagace.
Or, peu a peu, sans qu'elle osat meme se l'avouer, s'etait glissee
dans son ame la preoccupation obscure des jours qui passent, de
l'age qui vient. C'etait en sa pensee quelque chose comme une petite
demangeaison qui ne cessait jamais. Mais sachant bien que cette
descente de la vie etait sans fond, qu'une fois commencee on ne
l'arretait plus, et cedant a l'instinct du danger, elle ferma les yeux
en se laissant glisser afin de conserver son reve, de ne pas avoir le
vertige de l'abime et le desespoir de l'impuissance.
Elle vecut donc en souriant, avec une sorte d'orgueil factice de
rester belle si longtemps; et, lorsqu'Annette apparut a cote d'elle
avec la fraicheur de ses dix-huit annees, au lieu de souffrir de ce
voisinage, elle fut fiere, au contraire, de pouvoir etre preferee,
dans la grace savante de sa maturite, a cette fillette epanouie dans
l'eclat radieux de la premiere jeunesse.
Elle se croyait meme au debut d'une periode heureuse et tranquille
quand la mort de sa mere vint la frapper en plein coeur. Ce fut,
pendant les premiers jours, un de ces desespoirs profonds qui ne
laissent place a nulle autre pensee. Elle restait du matin au soir
abimee dans la desolation, cherchant a se rappeler mille choses de
la morte, des paroles familieres, sa figure d'autrefois, des robes
qu'elle avait portees jadis, comme si elle eut amasse au fond de sa
memoire des reliques, et recueilli dans le passe disparu tous les
intimes et menus souvenirs dont elle alimenterait ses cruelles
reveries. Puis quand elle fut arrivee ainsi a un tel paroxysme de
desespoir, qu'elle avait a tout instant
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