e mon ame une ivresse indicible de vous appartenir, et un besoin
irresistible de vous donner davantage de moi. Je voudrais me sacrifier
d'une facon absolue, car il n'y a rien de meilleur, quand on aime,
que de donner, de donner toujours, tout, tout, sa vie, sa pensee, son
corps, tout ce qu'on a, et de bien sentir qu'on donne et d'etre prete
a tout risquer pour donner plus encore. Je vous aime, jusqu'a aimer
souffrir pour vous, jusqu'a aimer mes inquietudes, mes tourments, mes
jalousies, la peine que j'ai quand je ne vous sens plus tendre pour
moi. J'aime en vous quelqu'un que seule j'ai decouvert, un vous qui
n'est pas celui du monde, celui qu'on admire, celui qu'on connait,
un vous qui est le mien, qui ne peut plus changer, qui ne peut
pas vieillir, que je ne peux pas ne plus aimer, car j'ai, pour le
regarder, des yeux qui ne voient plus que lui. Mais on ne peut pas
dire ces choses. Il n'y a pas de mots pour les exprimer.
Il repeta tout bas, plusieurs fois de suite:
--Chere, chere, chere Any.
Julio revenait en bondissant, sans avoir trouve la caille qui s'etait
tue a son approche, et Annette le suivait toujours, essoufflee d'avoir
couru.
--Je n'en puis plus, dit-elle. Je me cramponne a vous, monsieur le
peintre!
Elle s'appuya sur le bras libre d'Olivier et ils rentrerent, marchant
ainsi, lui entre elles, sous les arbres noirs. Ils ne parlaient plus.
Il avancait, possede par elles, penetre par une sorte de fluide
feminin dont leur contact l'inondait. Il ne cherchait pas a les voir,
puisqu'il les avait contre lui, et meme il fermait les yeux pour mieux
les sentir. Elles le guidaient, le conduisaient, et il allait devant
lui, epris d'elles, de celle de gauche comme de celle de droite, sans
savoir laquelle etait a gauche, laquelle etait a droite, laquelle
etait la mere, laquelle etait la fille. Il s'abandonnait
volontairement avec une sensualite inconsciente et raffinee au trouble
de cette sensation. Il cherchait meme a les meler dans son coeur, a ne
plus les distinguer dans sa pensee, et il bercait son desir au charme
de cette confusion. N'etait-ce pas une seule femme que cette mere et
cette fille si pareilles? et la fille ne semblait-elle pas venue sur
la terre uniquement pour rajeunir son amour ancien pour la mere?
Quand il rouvrit les yeux en penetrant dans le chateau, il lui sembla
qu'il venait de passer les plus delicieuses minutes de sa vie, de
subir la plus etrange, la plus inanalysable et la plus comp
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