--Dis donc, petite! est-ce que ca t'ennuierait de me poser une figure,
une fois ou deux?
--Mais non, au contraire!
--Regarde bien cette demoiselle qui se promene dans l'ideal.
--La, sur cette chaise?
--Oui. Eh bien! tu t'assoiras aussi sur une chaise, tu ouvriras
un livre sur tes genoux et tu tacheras de faire comme elle. As-tu
quelquefois reve tout eveillee?
--Mais, oui.
--A quoi?
Et il essaya de la confesser sur ses promenades dans le bleu; mais
elle ne voulait point repondre, detournait ses questions, regardait
les canards nager apres le pain que leur jetait une dame, et semblait
genee comme s'il eut touche en elle a quelque chose de sensible.
Puis, pour changer de sujet, elle raconta sa vie a Roncieres, parla
de sa grand'mere a qui elle faisait de longues lectures a haute
voix, tous les jours, et qui devait etre bien seule, et bien triste
maintenant.
Le peintre, en l'ecoutant, se sentait gai comme un oiseau, gai comme
il ne l'avait jamais ete. Tout ce qu'elle lui disait, tous les menus
et futiles et mediocres details de cette simple existence de fillette
l'amusaient et l'interessaient.
--Asseyons-nous, dit-il.
Ils s'assirent aupres de l'eau. Et les deux cygnes s'en vinrent
flotter devant eux, esperant quelque nourriture.
Bertin sentait en lui s'eveiller des souvenirs, ces souvenirs
disparus, noyes dans l'oubli et qui soudain reviennent, on ne sait
pourquoi. Ils surgissaient rapides, de toutes sortes, si nombreux en
meme temps, qu'il eprouvait la sensation d'une main remuant la vase de
sa memoire.
Il cherchait pourquoi avait lieu ce bouillonnement de sa vie ancienne
que plusieurs fois deja, moins qu'aujourd'hui cependant, il avait
senti et remarque. Il existait toujours une cause a ces evocations
subites, une cause materielle et simple, une odeur, un parfum souvent.
Que de fois une robe de femme lui avait jete au passage, avec le
souffle evapore d'une essence, tout un rappel d'evenements effaces! Au
fond des vieux flacons de toilette, il avait retrouve souvent aussi
des parcelles de son existence; et toutes les odeurs errantes, celles
des rues, des champs, des maisons, des meubles, les douces et les
mauvaises, les odeurs chaudes des soirs d'ete, les odeurs froides
des soirs d'hiver, ranimaient toujours chez lui de lointaines
reminiscences, comme si les senteurs, gardaient en elle les choses
mortes embaumees, a la facon des aromates qui conservent les momies.
Etait-ce l'herbe mouille
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