et on passa dans le grand salon, le
boudoir du fond etant reserve aux receptions de la journee.
C'etait une piece tres vaste et tres claire. Sur les quatre murs, de
larges et beaux panneaux de soie bleu pale a dessins anciens enfermes
en des encadrements blancs et or prenaient sous la lumiere des lampes
et du lustre une teinte lunaire douce et vive. Au milieu du principal,
le portrait de la comtesse par Olivier Bertin semblait habiter, animer
l'appartement. Il y etait chez lui, melait a l'air meme du salon son
sourire de jeune femme, la grace de son regard, le charme leger de
ses cheveux blonds. C'etait d'ailleurs presque un usage, une sorte
de pratique d'urbanite, comme le signe de croix en entrant dans les
eglises, de complimenter le modele sur l'oeuvre du peintre chaque fois
qu'on s'arretait devant.
Musadieu n'y manquait jamais. Son opinion de connaisseur commissionne
par l'Etat ayant une valeur d'expertise legale, il se faisait un
devoir d'affirmer souvent, avec conviction, la superiorite de cette
peinture.
--Vraiment, dit-il, voila le plus beau portrait moderne que je
connaisse. Il y a la dedans une vie prodigieuse.
Le comte de Guilleroy, chez qui l'habitude d'entendre vanter cette
toile avait enracine la conviction qu'il possedait un chef-d'oeuvre,
s'approcha pour rencherir, et, pendant une minute ou deux, ils
accumulerent toutes les formules usitees et techniques pour celebrer
les qualites apparentes et intentionnelles de ce tableau.
Tous les yeux, leves vers le mur, semblaient ravis d'admiration, et
Olivier Bertin, accoutume a ces eloges, auxquels il ne pretait guere
plus d'attention qu'on ne fait aux questions sur la sante, apres une
rencontre dans la rue, redressait cependant la lampe a reflecteur
placee devant le portrait pour l'eclairer, le domestique l'ayant
posee, par negligence, un peu de travers.
Puis on s'assit, et le comte s'etant approche de la duchesse, elle lui
dit:
--Je crois que mon neveu va venir me chercher et vous demander une
tasse de the.
Leurs desirs, depuis quelque temps, s'etaient rencontres et devines,
sans qu'ils se les fussent encore confies, meme par des sous-entendus.
Le frere de la duchesse de Mortemain, le marquis de Farandal, apres
s'etre presque entierement ruine au jeu, etait mort d'une chute de
cheval, en laissant une veuve et un fils. Age maintenant de vingt-huit
ans, ce jeune homme, un des plus convoites meneurs de cotillon
d'Europe, car on le faisait ven
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