qu'il ne voulait
pas dire. Il avait vu d'ailleurs un ministre dans la journee et
rencontre le grand-duc Wladimir, revenu de Cannes, la veille au soir.
L'artiste resistait et, avec une ironie tranquille, contestait la
competence des gens les mieux informes. Derriere toutes ces rumeurs,
on preparait des mouvements de bourse! Seul, M. de Bismarck devait
avoir la-dessus une opinion arretee, peut-etre.
M. de Guilleroy entra, serra les mains avec empressement, en
s'excusant, par phrases onctueuses, de les avoir laisses seuls.
--Et vous, mon cher depute, demanda le peintre, que pensez-vous des
bruits de guerre?
M. de Guilleroy se lanca dans un discours. Il en savait plus que
personne comme membre de la Chambre, et cependant il n'etait pas du
meme avis que la plupart de ses collegues. Non, il ne croyait pas a la
probabilite d'un conflit prochain, a moins qu'il ne fut provoque
par la turbulence francaise et par les rodomontades des soi-disant
patriotes de la ligue. Et il fit de M. de Bismarck un portrait a
grands traits, un portrait a la Saint-Simon. Cet homme-la, on ne
voulait pas le comprendre, parce qu'on prete toujours aux autres sa
propre maniere de penser, et qu'on les croit prets a faire ce qu'on
aurait fait a leur place. M. de Bismarck n'etait pas un diplomate faux
et menteur, mais un franc, un brutal, qui criait toujours la verite,
annoncait toujours ses intentions. "Je veux la paix," dit-il. C'etait
vrai, il voulait la paix, rien que la paix, et tout le prouvait d'une
facon aveuglante depuis dix-huit ans, tout, jusqu'a ses armements,
jusqu'a ses alliances, jusqu'a ce faisceau de peuples unis contre
notre impetuosite. M. de Guilleroy conclut d'un ton profond,
convaincu: "C'est un grand homme, un tres grand homme qui desire la
tranquillite, mais qui croit seulement aux menaces et aux moyens
violents pour l'obtenir. En somme, Messieurs, un grand barbare."
--Qui veut la fin veut les moyens, reprit M. de Musadieu. Je vous
accorde volontiers qu'il adore la paix si vous me concedez qu'il a
toujours envie de faire la guerre pour l'obtenir. C'est la d'ailleurs
une verite indiscutable et phenomenale: on ne fait la guerre en ce
monde que pour avoir la paix!
Un domestique annoncait:--Madame la duchesse de Mortemain.
Dans les deux battants de la porte ouverte, apparut une grande et
forte femme, qui entra avec autorite.
Guilleroy, se precipitant, lui baisa les doigts et demanda:
--Comment allez-vous, Duchesse?
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