mpies_.
Cher ami, merci pour votre sollicitude. Tout va bien autour de moi.
Maurice vous aime toujours; il est bien marie, sa petite femme est
charmante. Ils sont tout deux actifs et laborieux. La petite Aurore est
un amour que l'on adore. Elle a eu un an le jour de mon arrivee ici, la
semaine derniere. Je suis _chez eux_ maintenant; car je leur ai laisse
toute la gouverne du petit avoir, et j'ai le plaisir de ne plus m'en
occuper; j'ai plus de temps et de liberte. J'espere guerir bientot, et
sinon, je suis bien soignee et bien choyee. Tout est donc pour le mieux.
Ayez toujours espoir aussi. Pourquoi ne gueririez-vous pas? Si vous le
voulez bien, qui sait? Et puis on vous aime tant! cela peut amener un de
ces miracles _naturels_ que Dieu connait!
A vous de toute mon ame.
G. SAND.
DCXXV
A GUSTAVE FLAUBERT, A CROISSET
Nohant, 15 janvier 1867.
Me voila chez nous, assez valide, sauf quelques heures le soir. Enfin,
ca passera. _Le mal ou celui qui l'endure,_ disait mon vieux cure, _ca
ne peut pas durer._
Je recois ta lettre ce matin, cher ami. Pourquoi que je t'aime plus
que la plupart des autres, meme plus que des camarades anciens et bien
eprouves? Je cherche, car mon etat a cette heure, c'est d'etre
Toi qui vas cherchant,
Au soleil couchant,
Fortune!...
Oui, fortune intellectuelle, _lumiere!_ Eh bien, voila: on se fait,
etant vieux, dans le soleil couchant de la vie,--qui est la plus belle
heure des tons et des reflets,--une notion nouvelle de toute chose et de
l'affection surtout.
Dans l'age de la puissance et de la personnalite, on tate l'ami comme on
tate le terrain, au point de la reciprocite. Solide on se sent, solide
on veut trouver ce qui vous porte ou vous conduit. Mais, quand s'enfuit
l'intensite du _moi_, on aime les personnes et les choses pour ce
qu'elles sont par elles-memes, pour ce qu'elles representent aux yeux
de votre ame, et nullement pour ce qu'elles apporteront en plus a votre
destinee. C'est comme le tableau ou la statue que l'on voudrait avoir a
soi, quand on reve en meme temps un beau chez soi pour l'y mettre.
Mais on a parcouru la verte boheme sans y rien amasser; on est reste
gueux, sentimental et troubadour. On sait tres bien que ce sera toujours
de meme et qu'on mourra sans feu ni lieu. Alors, on pense a la statue,
au tableau dont on ne saurait que faire et que l'on ne saurait ou placer
avec honneur si on les possedait.
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